DANIEL ARTHUR LAPRES

Cabinet d'avocats
 

FRANCE

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Balles neuves ! Service aux pirates !

Commentaire du jugement de la Cour Suprême des Etats-Unis dans l'affaire MGM c Grokster/StreamCast.

Par

Daniel Arthur Laprès[1]

 

PLAN

1. - Introduction 

2. - L'apport du jugement de la Cour Suprême dans l'affaire MGM c Grokster et StreamCast 

3. - Le défi économique pour les majors de la musique 

4. - La stratégie judiciaire des majors  

5. - Le juste prix de la musique numérisée

6. - Le risque judiciaire pour les majors en droit de la concurrence

7. - Conclusion

 
 
 
1. Introduction

L'industrie de la musique avance de victoire à la Pyrrhus dans l'affaire Napster[2] en victoire à la Pyrrhus dans celle de Grokster et de StreamCast Networks.[3] L'unique certitude découlant de ce dernier jugement rendu récemment par la Cour Suprême des Etats-Unis est que le partage illicite de fichiers continuera. 

Seule la chute des prix de la musique entamera sérieusement le piratage. 

A quel niveau devront tomber les prix pour réduire significativement les échanges non autorisés de fichiers en ligne? A des niveaux auxquels il devient inintéressant de copier sur le web, à des niveaux tel que les désagréments de l'utilisation des logiciels peer-to-peer deviennent perçus par les intéressés comme plus significatifs que les pertes d'utilité subies en payant les prix d'achat. 

Ce niveau de prix est-il proche de 0 ? Oui.

Mais alors, la survie des majors est-elle en cause ? Sûrement. 

L'avenir de la musique est-elle aussi en cause pour autant ? Les majors, leurs représentants, leurs lobbyistes, et leurs défenseurs le clament. Ils y ont intérêt. Justice Breyer dans son jugement dans l'affaire Grokster a qualifié de "silly" l'idée que le phénoméne du partage de fichiers mettrait en cause la survie de la musique, "a cultural form without which no human society has existed."[4]

Contrairement aux fournisseurs de logiciels et ceux de jeux vidéo, les majors[5] n'ont pas su développer des moyens techniques pour protéger leurs produits contre les copies non autorisées.

Dans un mode de distribution en ligne, ils sont handicapés par la taille et le coût de leurs structures adaptées à l'ancien paradigme de concurrence avec des supports matériels rendus obsolètes par le web. Il leur est impossible de baisser les prix autant que peuvent le faire des distributeurs en ligne "pure play". Ces derniers devraient donc à long terme manger la part des majors dans les limites de l'interchangeabilité des produits matériels et numériques. 

Dans ces conditions, la hargne manifestée par les majors dans la poursuite devant les tribunaux des points névralgiques de la copie de fichiers est compréhensible, mais futile. Le résultat de l'affaire Grokster/StreamCast en apporte une nouvelle preuve.

2. L'apport du jugement de la Cour Suprême dans l'affaire MGM c. Grokster/StreamCast

De cette affaire, il y a lieu surtout de retenir que la Cour Suprême n'a pas proscrit les logiciels peer-to-peer en général,[6] ni même ceux de Grokster et de StreamCast Networks. Les différences d'appréciations exprimées dans les trois jugements rendus[7] par rapport aux faits,[8] à la procédure[9] et au droit[10] sapent l'affaire de sa force en tant que précédent. 

Seulement la Cour Suprême a conclu, sur les faits, que les sociétés défenderesses étaient responsables pour leurs incitations à la reproduction illicite des oeuvres protégées des majors par des éléments précis de leurs comportements, certes outrancièrement provocateurs. Si ce n'est qu'au niveau des dénominations des logiciels, Grokster avait affiché sa rébellion, et par leurs campagnes de promotion de leurs logiciels en tant que successeur de Napster et surtout, bien qu'on en soit réduit à l'incrédulité, en offrant des conseils pour l'exploitation de leurs logiciels pour copier de la musique protégée par des droits d'auteur, et en fondant leur "business model" sur l'accumulation de profits en proportion directe avec l'ampleur des reproductions illicites par ailleurs suscitées et encouragées, Grokster et StreamCast Networks auront prêté le flanc à des poursuites pour complicité de contrefaçon, et elles auront été condamnées. 

Les successeurs aux fonds de commerce de Grokster/StreamCast n'auront aucune difficulté pour faire preuve de plus de subtilité en naviguant autour des bornes que la Cour a clairement indiquées. 

L'erreur commise par la Cour of Appeals a consisté à interpréter la jurisprudence de l'affaire Sony[11] comme signifiant que l'existence d'utilisations licites pour les logiciels Grokster/StreamCast devait exonérer ipso facto les incitations au piratage commises par les défenderesses.[12] En effet, Sony n'avait pas encouragé les copies et à environ 10% les enregistrements servaient à faire du "time shifting", utilisation considérée comme légale. 

Mais, tout en constatant que la part des utilisations illicites des logiciels des défenderesses voisinait les 90%, la majorité a expressément refusé d'y trouver un seuil fatidique pour sanctionner Groskter/StreamCast en tant que seuls fournisseurs de produits à double usage et en dehors de toute culpabilité pour les incitations relevées.[13]

Justice Souter, écrit au nom de la majorité de la Cour que sa jurisprudence :

"absolves the equivocal conduct of selling an item with substantial lawful as well as unlawful uses, and limits liability to instances of more acute fault than the mere understanding that some of one's products will be misused. It leaves breathing room for innovation and commerce".

Justice Souter précise que la Cour "leaves further consideration of the Sony rule for a day when that may be required", autrement dit quand la rébellion contre l'industrie de la musique aura métamorphosé pour éviter de tomber dans le filet qui lui est tendu en droit de la propriété intellectuelle. Les juges de la Cour Suprême évoquent variablement la largeur des apertures de ce filet : quel est en effet le seuil des "non infringing uses" qui permettra aux concepteurs de la prochaine génération d'outils d'éviter une imputation de responsabilité sur la seule base de la part des utilisations illicites en relation avec celles licites ? 

Si la majorité n'a pas considéré que 90% d'utilisations illicites suffisaient en soi pour condamner Grokster/StreamCast, Justice Breyer, suivi en cela par Justice Stevens et Justice O'Connor, a estimé que les 10% d'utilisations licites de Grokster/StreamCast pouvaient suffire pour satisfaire la contrainte de la jurisprudence Sony leur faisant dès lors échapper à toute responsabilité hormis celle de profiter des abus qu'ils ont encouragés.[14] Cette minorité de trois juges a admis la possibilité que des pourcentages encore plus bas pourraient justifier la tolérance des abus et ceci en fonction notamment de la nature et de l'intérêt social des utilisations licites ; plus, ils ont considéré comme pertinente à cet égard la seule promesse d'utilisations licites susceptibles de supplanter au cours du temps celles majoritairement illicites à l'origine.[15]

Mais, pour ce qui concerne les intérêts de l'industrie, seul importe le fait que le génie du peer-to-peer est sorti de la bouteille, et ceci avec l'approbation de la Cour Suprême des Etats-Unis, et plus personne ne pourra l'y remettre.

3. Le défi économique pour les majors de la musique

Considérant qu'il y a environ un milliard de morceaux de musique déjà sur le web prêts à être échangés et considérant en plus que des centaines de millions d'internautes à travers le monde sont déjà munis de logiciels d'échanges qu'ils pourront continuer à utiliser pour des fins licites et, sauf avancée technique permettant une protection effective contre la piratage, il ne reste plus aux majors qu'à poursuivre en justice le noyau dur des uploaders contrevenants[16] pour dissuader l'ensemble des pirates.

Dans son jugement dans l'affaire Grokster/StreamCast, Justice Breyer aborde la question de l'effet dissuasif des poursuites contre les Napster et tutti cuanti.  Selon certaines sources citées par Justice Breyer, le nombre d'internautes commettant des partages illicites avait baissé d'un plafond d'environ 35 millions à 23 millions un an plus tard et 38% des partageurs disaient avoir continué à partager illicitement les musiques mais en moindre nombre.[17] Mais il cite aussi des sources exprimant des constats contraires.[18]

Considérant que le stock de fichiers déjà accessibles sur le web correspondrait semble-t-il à une part substantielle de toutes les compositions musicales jamais créées, et à supposer qu'il doit forcément exister un niveau de saturation des besoins des partageurs par rapport au stock de musique depuis tous les temps accessible sur le web, l'indice le plus significatif serait celui des partages des nouvelles musiques mises en circulation. 

En tout cas, les politiques commerciales des majors trahissent la faiblesse de leur argument juridique. Ainsi, l'IFPI relate dans son Rapport 2005 comment le problème du piratage a commencé à s'estomper lorsque les premiers plans d'action contre le partage illégal de fichiers ont été annoncés aux Etats-Unis et que les premiers services légaux de musique en ligne ont été développés à l'attention des consommateurs.[19] En ces termes, les majors reconnaissent que les pirates les ont obligés à offrir leurs prestations en ligne alors qu'elles s'y sont refusées à l'origine, d'où justement l'essor des services pirates, pendant longtemps seuls offreurs de musique en ligne.

Les majors décrient les pirates comme la cause de la chute tout de même vertigineuse de leur chiffre d'affaires reconnue par l'IFPI comme correspondant à 22% entre 1998 et 2003.[20] En fait, ce chiffre traduit l'inéluctabilité de la perte d'influence à long terme des majors sur le marché de la musique. Pour défendre leur part du marché global de la musique alors que les consommateurs s'orientaient en masse vers la distribution en ligne, il est bien évident que les majors auraient dù s'y mettre plus tôt.

Mais l'exploitation en ligne de services de distribution de musique est antinomique avec les intérêts des majors pour autant que ce mode de distribution rend caduc un de leurs principaux avantages concurrentiels dans un monde de distribution matérielle : la capitalisation financière à des niveaux constituant une barrière à l'entrée sur le marché.[21]

Par contre, le partageur de musique dans un monde peer-to-peer n'a besoin d'autres fonds d'investissement que ceux pour se procurer un ordinateur personnel, et des logiciels adaptés et une connexion à l'internet. L'IFPI a recensé l'arrivée sur le marché en 2004 de 230 plateformes légales distribuant de la musique en ligne. Ainsi se "coase" le marché de la musique numérisée.[22]

Sous l'impulsion de cette concurrence, les majors ont finalement décidé de répliquer avec leurs propres services de ventes en ligne.

Mais, leur réticence à le faire, face même à la fulgurante percée de Napster, cette préférence pour déplacer la concurrence du marché vers les tribunaux, s'explique par le constat que les ventes de musique en ligne poussent les prix du marché vers le bas, y compris pour la musique vendue sur des supports matériels. Dans la limite de l'échangeabilité des qualités d'expérience, de l'indifférence quant aux utilités relatives, des deux modes de distribution, les consommateurs opteront progressivement pour le mode le moins cher. 

Dans la mesure où les majors sont amenés à concurrencer les fournisseurs de musique en ligne sur les prix, ils sont plombés par leurs engagements irréversibles, en tout cas à moyen terme, dans la distribution de produits matériels, et l'infrastructure qu'elle implique. Les coûts associés au maintien et à l'exploitation de cette infrastructure doivent être amortis et répartis sur une part diminuante du chiffre d'affaires, alors même que les concurrents virtuels pratiquent une inlassable pression sur les prix excluant toute velléité d'augmenter les marges.

Plus les majors s'engagent dans le secteur prometteur des ventes en ligne, plus ils compromettent leurs exploitations générales comprenant des parts d'activité encore largement dominantes dans le compartiment du marché en perte de vitesse.

Au vu des statistiques communiquées par l'industrie, il apparaît que toute éventuelle chute dans le nombre de fichiers de musique sur le web au cours des années récentes serait mieux corrélée avec la baisse des prix de la musique qu'avec les jugements remportés contre les pirates et les fournisseurs de leurs logiciels d'échange. 

Ainsi faute de pouvoir empêcher le piratage par des moyens techniques, face à la réalité d'une perte d'influence sur le marché se transportant largement en ligne où les nouveaux concurrents peuvent appliquer des prix correspondant à des fractions de ce que sont obligés de pratiquer les majors, et en reconnaissance du danger de disparition à long terme pour autant que cette tendance pourrait un jour dépasser le point de "tipping" les majors ont décidé de s'en remettre à la stratégie consistant, selon le proverbe chinois, à trancher la tête du poulet au vu du singe pour mieux le dompter. 

4. - La stratégie judiciaire des majors

Selon l'IFPI, les majors ont déposé quelque 7.000 plaintes en 2004 devant les juridictions américaines (environ 6.000), canadiennes, françaises, britanniques, autrichiennes, danoises, allemandes, et italiennes.[23] Mais il ne s'agit là que d'un flocon dans l'avalanche de procédures qu'il leur faudra déclencher et gagner, en obtenant des jugements comportant des sanctions effectivement dissuasives, pour réussir par ce seul moyen à faire diminuer de manière significative le piratage au-delà de l'épiphénomène qu'est censée constituer une activité qualifiée de criminelle.[24]

Or, le piratage n'est pas un épiphénoméne et les efforts déployés, surtout quand il s'agit d'actions pénales comme elles sont le plus souvent menées en France en tout cas, par les parties civiles sans que le Ministère Public n'ait à cautionner l'entreprise judiciaire, mettent en exergue la radicale injustice de l'équilibre actuel du droit d'auteur dans la musique numérisée et des conditions abusives de son exploitation à leurs avantages par les majors.

On suppose que toute sanction pénale doit pouvoir frapper une certaine part des contrevenants, faute de quoi les condamnations seront considérées comme aléatoires, et donc injustes. Même si les intérêts privés des majors sont servis en engendrant une désaffection du public envers la justice, l'intérêt public n'a rien à y gagner.

Faisons abstraction des objections qu'opposeront certains quant à l'opportunité de criminaliser les violations des droits d'auteur en dehors d'exploitations commerciales par les contrevenants, voire celle de les criminaliser en dehors d'une activité à caractère mafieux, en bande organisée,[25] et laissons de côté les doutes que l'on peut raisonnablement entretenir sur la conformité à l'intérêt général d'un régime de droit de la propriété intellectuelle permettant à des intérêts privés d'initier des  campagne d'actions judiciaires en se transformant par la même occasion en Premier Parquet Planétaire,[26] redouté moins pour la justice de ses arguments que pour les moyens dépensés[27] ( in fine, d'ailleurs, avec des recettes provenant des achats par le public, y compris un grand nombre de pirates).

Est-ce qu'au moins les campagnes judicaires des majors ont eu et surtout pourront-elles avoir l'effet escompté de réduire le piratage ?

Le nombre de poursuites qu'il faudrait lancer pour dissuader les pirates dépasse la capacité d'absorption des juridictions et des prisons, sans évoquer le risque d'intolérance du public, de "backlash". 

Pour s'en convaincre, il suffit defaire une estimation du nombre de poursuites pénales qu'il faudrait initier devant les tribunaux européens pour dissuader les pirates en activité sur le continent dont la population atteindrait 36 millions. Selon les statistiques du Ministère de la Justice, pour 5.319.320 procès-verbaux déposés en 2003 par rapport à des infractions alléguées, 1.386.500 ont donné lieu à des poursuites judiciaires et 525.053 condamnations ont été prononcées avec 283.203 peines d'emprisonnement.[28] Retenons ces ratios comme indicateurs moyens des seuils d'efficacité des sanctions pénales par rapport aux comportements illicites.

Pour atteindre dans la répression des échanges en ligne de musique les seuils de l'efficacité moyenne du systéme pénal français, il faudrait lancer quelques centaines de milliers de procédures par an devant les seuls tribunaux français pour dissuader les quelque 3-4 millions d'internautes français pratiquant des échanges de musique en ligne ! En France, les maisons de disques n'en sont encore qu'à un dix millième de l'activité judiciaire raisonnablement prévisible comme nécessaire pour avoir un effet dissuasif significatif sur les pirates.

Les majors de la musique n'auront pas plus de succès avec les procédures judiciaires pour supprimer le piratage de musique en ligne que les éditeurs ont pu connaître dans la poursuite des photocopies illicites de livres et des produits de la presse.

5. Le juste prix de la musique numérisée

Enfin, la question doit être posée de savoir comment dans un monde de libre concurrence, l'ensemble des compétiteurs importants pratiquent durablement des prix leur permettant de dégager des revenus marginaux au-delà de ceux justifiés par leurs coûts marginaux. Dans le cas de la musique numérisée, force est de constater que le coût de sa distribution en ligne voisine 0 alors que chacun sait que les prix au détail y sont encore très largement supérieurs, un album typique coétant en ligne quelque $ 12-13.[29]

Selon le Président d'une société américaine de distribution de musique en ligne, "We think the best way to stop piracy is to make music so cheap it isn't worth copying".[30]

Considérant qu'Apple peut vendre des chansons sur le web à moins de $ 1 l'unité, le coût marginal de transférer un album entier plutôt qu'une seule chanson en ligne est, exception faite des droits d'auteurs, le coût de la communication, qui est proche de 0.

L'unité de compte ayant été adoptée, $ 1 par achat, les forces de la concurrence engendreront l'augmentation de la quantité d'oeuvres livrées en échange de cette unité de compte.

6. - Le risque judiciaire pour les majors en droit de la concurrence 

Le risque judiciaire le plus sérieux pour les majors n'est pas l'échec annoncé de la campagne de poursuites contre les pirates. Le vrai danger dérive, faute de moyens techniques pour empêcher le piratage ou de résultats judiciaires suffisants pour dissuader les contrevenants, de la nécessité pour les majors de maintenir artificiellement leurs prix à des niveaux que les forces de la libre concurrence pour le bien public qu'est l'information constituant la musique transférée en ligne poussent inexorablement vers 0.

Sur un marché pour des biens publics comme les informations qui constituent la musique numérisée véhiculée sur le web, seuls peuvent subsister un monopoliste (agissant sous protection de l'Etat, par exemple par l'attribution de l'exclusivité d'exploitation de ses oeuvres tel qu'accompli par la reconnaissance de droits d'auteur), ou des oligopolistes qui sont inévitablement amenés à s'entendre sur des prix planchers leur permettant de dégager les "contribution margins" nécessaires au recouvrement de leurs investissements et à éviter ainsi d'entrer dans la spirale infernale entraînant les prix vers des coûts marginaux tendant, pour leur part, vers 0.

Les majors n'arrivant pas dans la pratique à faire respecter leurs droits d'auteur, ni par des moyens techniques ni par des campagnes judiciaires, il ne leur resterait donc, en tout cas en théorie, d'autre choix pour survivre que de coopérer pour éviter l'affaissement total des prix.[31]

7. - Conclusion

A force de gagner des batailles judiciaires, l'industrie de la musique aura perdu la guerre contre les pirates. Sauf à s'accommoder des adaptations à son modêle économique rendues nécessaires par la numérisation, l'industrie de la musique dans sa configuration actuelle joue sa survie. 

Par contre, l'avenir de la musique s'annonce florissant car les artistes pourront plus facilement entrer en contact avec leurs audiences taillées sur mesure dans un marché globalisé et ils pourront capter des parts des recettes au détail 3-5 fois plus importantes qu'actuellement. Le site  www.garageband.com montre la direction, tout comme le font les artistes individuels qui offrent directement leurs productions sur le web. Selon certains indicateurs, l'accès facile aux reproductions de musique en ligne a rallumé la passion du public pour les concerts et ouvert de nouvelles perspectives d'exploitation commerciale par les artistes de leurs oeuvres. 

Le bien-être général doit déterminer l'équilibre tiré par le droit d'auteur entre l'encouragement à l'innovation musicale et la promotion de sa propagation. C'est en ces termes que les juges la Cour Suprême des Etats-Unis dans l'affaire Grokster ont expliqué leur approche générale des droits d'auteur et de ceux dans la musique en particulier.[32]

Tant que le bien-être général ressenti par le public par rapport à la musique ne sera pas servi de manière optimale par la configuration des droits d'auteur, les assauts se répéteront inlassablement, et de toutes parts, par la banalisation des infractions, par des contestations devant les tribunaux, par des campagnes de réforme auprès des législateurs.[33] Le jugement dans l'affaire Grokster n'est autre qu'annonciateur d'exacerbation des difficultés des majors face aux pirates.



[1] Avocat à la Cour d'Appel de Paris, Barrister & Solicitor, Nouvelle-Ecosse.
[2] A & M Recordset al v Napster, Inc., C.A. 9th Circ., Feb. 12, 2001 at http://www.ce9.uscourts.gov/web/newopinions.nsf/4bc2cbe0ce5be94e88256927007a37b9/c4f204f6Inc., C.A. 9th Circ., Feb. 12, 2001 at
[3] Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. v. Grokster, Ltd., 27 juin 2005, http://www.supremecourtus.gov/opinions/04slipopinion.html.
[4] Plus précisément, Justice Breyer cite à la page15 de son jugement Benkler, Sharing Nicely : On Shareable Goods and the Emergence of Sharing as a Modality of Economic Production, 114 Yale L.J. 273, 351-352 (2004).
[5] Ce mot est utilisé pour désigner l'ensemble des parties se plaignant devant les tribunaux contre les pirates et les fournisseurs de logiciels servant àcopier des fichiers de musique. Plus officiellement, le mot inclut par exemple les membres de l'IFPI qui est le représentant de l'industrie au plan international (http://www.ifpi.org) et les membres de la Recording Industry Association of America (RIAA) dont la liste des membres est affichée au http://www.riaa.com/about/members/default.asp.).
[6] Justice Ginsburg, à qui se sont joints le Chief Justice et Justice Kennedy, écrit : "Further, the District Court and the Court of Appeals did not sharply distinguish between uses of Grokster's and StreamCast's software products (which this case is about) and uses of peer-to-peer technology generally (which this case is not about).", p. 7.
[7] L'avis unanime de la Cour a été exprimé par Justice Souter ; Justice Ginsburg a rendu un jugement auquel se sont joints le Chief Justice Rehnquist et Justice Kennedy ; Justice Breyer a rendu un jugement auquel se sont ralliés Justice Stevens et Justice O'Connor. Les seuls points d'accord unanime semblent être que (i) â Liability under our jurisprudence may be predicated on actively encouraging (or inducing) infringement through specific acts or on distributing a product distributees use to infringe copyrights, if the product is not capable of "substantial" or "commercially significant noninfringing uses" (Justice Ginsburg, p. 1) et que (ii) Grokster et StreamCacst Networks ont eu des comportements justifiant que leur soit imputée une responsabilité sous le premier de ces deux critères de responsabilité.
[8] Alors que Justices Breyer conclue à l'existence de â substantial non infiringing uses é des logiciels de Grokseter/StreamCast, Justice Ginsburg écrit que "Here, there has been no finding of any fair use and little beyond anecdotal evidence of noninfringing uses", p. 5.
[9] Justice Ginsburg souligne avec insistance que le jugement rendu en première instance l'a été àtitre de â summary judgment é et en tire les conséquences dans les termes suivants : â Fairly appraised, the evidence was insufficient to demonstrate, beyond genuine debate, a reasonable prospect that substantial or commercially significant noninfringing uses were likely to develop over time. On this record, the District Court should not have ruled dispositively on the contributory infringement charge by granting summary judgment to Grokster and StreamCast é, p. 7-8. Ainsi a-t-on laissé plané un doute sur l'avis définitif de ces trois juges en cas de débat au fond sur la deuxième branche du double critère de responsabilité moyennant une charge de la preuve réduite par rapport àcelle assumée pour emporter un â summary judgment é.
[10] Sur la question de savoir s'il existe en droit un seuil d'utilisations â non infringing é permettant àun défendeur d'échapper àl'imputation de responsabilité indirectement pour avoir mis en circulation des produits utilisés pour enfreindre les droits d'auteur, Justice Ginsburg déclare son désaccord avec Justice Breyer : â Justice Breyer finds in Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U. S. 417 (1984), a ïclear' rule permitting contributory liability for copyright infringement based on distribution of a product only when the product ïwill be used almost exclusively to infringe copyrights.' Post, at 9-10. But cf. Sony, 464 U. S., at 442 (recognizing ïcopyright holder's legitimate demand for effective--not merely symbolicãprotection'). Sony, as I read it, contains no clear, near-exclusivity test é, p.3. Quant à savoir quel pourrait être le seuil, les juges ont proposé une variété déroutante de formules alternatives : "widely used for legitimate unobjectionable purposes", "substantial", "commercially significant", "a significant number of potential uses", voir le jugement de Justice Ginsburg, p. 1,
[11] Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U. S. 417 (1984). Dans cette affaire, la Cour Suprême a refusé de condamner le fabricant et distributeur de magnétoscopes àcause des copies de programmes réalisés avec ses équipements.
[12] Ainsi Justice Souter *crit pour la majorité : The Ninth Circuit has read Sony's limitation to mean that whenever a product is capable of substantial lawful use, the producer can never be held contributorily liable for third parties infringing use; it read the rule as being this broad, even when an actual purpose to cause infringing use is shown by evidence independent of design and distribution of the product, unless the distributors had" specific knowledge of infringement at a time at which they contributed to the infringement, and failed to act upon that information , p. 16.
[13] Justice Souter écrit : Ç If liability for inducing infringement is ultimately found, it will not be on the basis of presuming or imputing fault, but from inferring a patentently illegal objective from statements and actions showing what that objective was é È, p. 24.
[14] â Importantly, Sony also used the word "capable," asking whether the product is "capable of" substantial noninfringing uses. Its language and analysis suggest that a figure like 10%, if fixed for all time, might well prove insufficient, but that such a figure serves as an adequate foundation where there is a reasonable prospect of expanded legitimate uses over time. é, p. 6, et â The real question here, I believe, is not whether the record evidence satisfies Sony. As I have interpreted the standard set forth in that case, it does. é, p. 18.
[15] â Sony's rule is forward looking. It does not confine its scope to a static snapshot of a product's current uses (thereby threatening technologies that have undeveloped future markets). Rather, as the VCR example makes clear, a product's market can evolve dramatically over time. And Sony--by referring to a capacity for substantial noninfringing uses--recognizes that fact. Sony's word "capable" refers to a plausible, not simply a theoretical, likelihood that such uses will come to pass, and that fact anchors Sony in practical reality. Cf. Aimster, supra, at 651. é, p. 10.
[16] La stratégie est décrite et justifiée dans le Rapport Annuel de l'IFPI : 05, p.21.
[17] L. Rainie, M. Madden, D. Hess, &G.Mudd, PewInternetProjectandcomScoreMedia - MetrixDataMemo:Thestateofmusicdownloading 
andfile-sharingonline,pp.2,4,6,10(Apr.2004), www.pewinternet.org/pdfs/PIP_Filesharing_April_04.pdf; M. Madden & L. Rainie, Pew Internet Project Data Memo: Music and video downloading moves beyond P2P, p. 7 (March 2005), 
www.pewinternet.org/pdfs/PIP_Filesharing_March05.pdf, 
observing that the number of downloaders has inched up but continues to restwellbelowthepeaklevel;Groennings,Note,Costs andBenefitsoftheRecording Industry'sLitigationAgainstIndividuals,20BerkeleyTechnologyL. J.571 (2005);
[18] Evangelista,DownloadingMusicand Movie Files is as Popular as Ever, San Francisco Chronicle, Mar. 28, 2005, p. E1.
[19] IFPI : 05, p. 22.
[20] IFPI : 05, p. 18.
[21] â With rate of project failure so high, and with all but the most successful recorded music products having a relatively short life cycle, lasting at most a few months, there is no room for distribution inefficiency: It is essential that retailers located over a wide geographic swath have their inventories of hits quickly replenished. Thus, most records are distributed by large organizations with sufficient capital to stock and ship hundreds of thousands of units on a moment's notice é. Harold L. Vogel, Entertainment Industry Economics, Cambridge U. Press, Cambridge, 2001, p.163.
[22] Ronald Coase, The Nature of the Firm, 1937, acessible au
http://en.wikipedia.org/wiki/Ronald_Coase. Dans une approche coasienne, les intermédiaires seront conduits à la désagrégation en proportion avec la réduction des coéts de transaction, täche qu'accomplit admirablement le web en mettant en relation directe les producteurs et les consommateurs tendant àéliminer les â coûts de transaction é engrangés par des intermédiaires.
[23] IFPI : 05, p. 21.
[24] A cet égard, il semble que les jugements rendus, en tout cas en France, n'atteignent pas des degrés de sanction susceptibles de dissuader les condamnés, et encore moins le public général des pirates.Selon l'IFPI, les pirates condamnés par les juridictions françaises auraient écopé d'amendes de quelques milliers d'Euros, ce qui semble ne pas être spécialement lourd quand on fait le rapprochement avec l'épargne en prix d'achats de disques que peut réaliser un uploader actif (àun prix de marché estimé correspondre àó Û 10 l'album de musique, et à supposer une amende de Û 3.000, le pirate condamné aurait â rentabilisé l'amende à partir de 300 albums copiés).
[25] Cet ajustement des traitements est prévu dans l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - TRIPs (l'article 61 stipule que â Les Membres prévoiront des procédures pénales et des peines applicables au moins pour les actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique de commerce ou de piratage portant atteinte àun droit d'auteur, commis àune échelle commerciale é. Au niveau national, cette différenciation est prévue en droit de la République Populaire de Chine qui ne qualifie de criminelles que les contrefaçons qui "portent atteinte à l'intérêt général" (voir les articles 46 et 47 de la Copyright Law). En contraste, le Code de la propriété intellectuelle français dispose en son article 335-2 que "Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et réglements relatifs à la propriété des auteurs est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit".
[26] Jusqu'à preuve du contraire, il s'agit bien du plus grand nombre d'actions en justice jamais intentées où que ce soit par une classe de parties civiles.
[27] La question se pose d'ailleurs de savoir quelle est la limite de ces moyens susceptibles d'être consacrés à des poursuites de pirates individuels. Selon l'IFPI, en 2003 The global music market was worth $ US 32 billion (28.5 billion Euros) with total unit sales (including music video) of 2.7 billion, c'est à dire à "record company sales (shipments, less returns) at estimated retail values", http://www.ifpi.org/site-content/statistics/worldsales.html. En déduisant la marge des détaillants non compris dans notre définition des majors et la rémunération des compositeurs et artistes, le tout estimé à 50%, et à supposer que 1% de cette marge soit consacrée aux campagnes judiciaires, les ó 150 millions dégagés pourraient commander les services d'avocats (estimés àó 1,500 l'action) pour lancer environ 100.000 actions àtravers le monde. Dans ces conditions, il importe de savoir si, en lançant 15 plus d'actions judiciaires, les majors obtiendraient plus de résultats en termes baisse du piratage que de réactions publiques contre une telle boulimie judiciaire. Mais pour obtenir un résultat en dissuasion équivalente àun condamné pour 100 contrevenants, et s'il n'y avait que 100 millions d'utilisateurs de logiciels peer-to-peer à travers le monde, il faudrait alors obtenir un million de condamnations, ce qui impliquerait de lancer encore plus de procés sauf à gagner chaque fois. Il faudrait, dans cette logique, que le majors multiplient d'au moins 140 fois le nombre de procès, en portant le seul budget professionnel à 1,5 milliards, soit 10% du chiffre d'affaires net estimé. S'il existe un milliard d'uploaders à travers le monde, les majors auraient à consacrer l'intégralité de leur chiffre d'affaires aux campagnes judiciaires !
[28] Ministère de la Justice, Les chiffres clés de la justice pénale, http://www.justice.gouv.fr/chiffres/penale04.htm.
[29] Selon une source, le prix moyen aurait été en 2004 $ 12,95, voir Music Industry Responding (slowly) to Pricing Issues, http://bigpicture.typepad.com/comments/2004/12/music_industry_.html.
William M. Landes et Richard A. Posner développent un modèle de coûts marginaux de la production et de la copie de propriété intellectuelle dans The Economic Structure of Intellectual Property Law, Belknap-Harvard, Cambridge, 2004, en particulier p. 71-84. Seulement, ils adoptent l'hypothèse de coûts marginaux augmentant, ce qui est certes le cas classique rencontré en microéconomie. D'un arriére de la main, on exclue l'hypothèse de coûts marginaux de la copie de propriété intellectuelle tendant vers 0 par un raisonnement téléologique : "Given our earlier assumption that the author's marginal cost is constant, increasing marginal costs for copiers is a necessary assumption; otherwise copiers would produce all copies, in which event work would not be created, or no copies, in which event the degree of copyright protection would not present an interesting question". Ces enchaînements logiques se rapprochent des cris d'alarme des majors que, de leur sort, dépend l'avenir de la musique, et en tout cas les confortent. Les auteurs omettent explicitement de leur modèle toute considération des conséquences de la numérisation de l'information sur les coûts de sa production ou sur les coûts de la copier et de la propager sur l'internet. Donc, aucun complément de commentaire de leurs analyses et conclusions ne s'impose dans le cadre présent. Toutefois, l'observation du coût infime de la propagation de l'information sur l'internet étant une banalité, il est difficile d'admettre que les conséquences qui en suivent ne soulèvent aucune "interesting question".
[30] Mr. Gene Hoffman of Emusic, Inc., quoted in National Research Council, Music: Intellectual Property's Canary in the Digital Coal Mine, http://books.nap.edu/html/digital_dilemma/ch2.html.
[31] Soon-Yong Choi, Dale O. Stahl, and Andrew B. Whinston, The Economics of Electronic Commerce, MacMillan, New York, 1997, où l'analyse est faite du marché des réseaux de tronc qui demandent d'importants investissements d'infrastructure mais qui génèrent, en théorie, des revenus marginaux très faibles car leurs coûts marginaux le sont. La multiplication de telles infrastructures n'étant sans doute pas optimale sur le plan social, un régime de régulation publique de ce type de marché est justifié même dans un modèle libéral de l'économie.
[32] â Themoreartistic protectionisfavored,themoretechnologicalinnovation may be discouraged; the administration of copyright law is an exercise in managing the trade-off, p. 10.
[33] The Economist a appelé à une réduction du terme des droits d'auteur àun terme de 14 ans renouvelable, ce qui était la durée initiale de la protection dans les lois anglaise et américaine, www.economist.com, Jan. 23, 2003.

 
 
 
 

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DANIEL ARTHUR LAPRES

Cabinet d'avocats

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