DANIEL ARTHUR LAPRES

Cabinet d'avocats

contacts
 
 
 

DROIT DU COMMERCE ELECTRONIQUE

EN REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

par

Daniel Arthur Laprès

Avocat à la Cour d'Appel de Paris

Barrister & Solicitor, Nouvelle-Ecosse

Publié dans la Gazette du Palais, Paris, juin 2000.
 
 

Tous droits d'auteur réservés.





Un thème récurrent dans la discussion des perspectives du commerce électronique en Chine concerne le besoin d'instaurer un régime juridique adapté.1

Mais, en fait, la Chine devance grand nombre de pays dans la création de normes juridiques pour encadrer le commerce en ligne. Aussi, la Chine, selon les récents accords avec les Etats-Unis et plus récemment avec l'Union Européenne (EU) sur son accession à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), s'est engagée à appliquer à moyen terme les accords relatifs aux télécommunications et aux produits des technologies de l'information.2

1. - La régulation de l'internet en Chine

Au plan international, la Chine projète l'exercice de ses compétences par rapport à l'internet sur plusieurs vecteurs. En complément des normes applicables aux réseaux situés sur le territoire national, les autorités chinoises édictent des règlements applicables à l'interconnexion entre le réseau national et les réseaux étrangers, concernant notamment les conditions d'accès et de transmission ainsi que les contenus. Au delà même de ses frontières, la Chine exerce une compétence en rapport avec le commerce électronique sur les activités à l'étranger des personnes morales chinoises, par exemple dans le cadre de leurs levées de fonds sur les bourses étrangères, et le plus récemment dans le cadre d'introductions en bourse aux Etats-Unis de "portails" chinois.3

Depuis mars 1998, le Ministère de l'Industrie de l'Information (MII- Xin Xi Gong Ye Bu) régule le développement des industries des télécommunications et des technologies de l'information, planifie la construction et la gestion des réseaux nationaux et définit les normes applicables aux réseaux de communication. Ce super-Ministère a été constitué du Ministère de Industrie de l'Electronique, des services de régulation des télécommunications de l'ancien Ministère des Postes et Télécommunications, et des services de régulation de l'audiovisuel du Ministère du Film, de la Radio et de la Télévision, ce dernier étant désormais réduit au statut d'Administration d'Etat (SAFRT - State Administration for Film, Radio and Television - guang bo dian ying, dian shi guan li ju).

La SAFRT a toutefois gardé le contrôle opérationnel aussi bien des puissantes stations de télévision nationales que des réseaux câblés dont le nombre d'abonnés (80 millions) dépasse celui du téléphone. La SAFRT contrôle le contenu des programmes et c'est sans doute à ce titre qu'il a été jugé opportun de la mettre sous l'autorité directe du Conseil d'Etat.

Les services de protection de la sécurité d'Etat sont chargés d'une compétence spécifique visant les activités liées à l'internet. C'est dans ce contexte qu'a récemment été créée la Commission d'Etat pour la Gestion des Secrets d'Etat ("Guo Jia Mi Ma Guan Li Wei Yuan Hui"). Cette Commission, placée dans l'orbite du Ministère de la Sécurité Publique ("Gong An Bu") et du Ministère de la Sécurité d'Etat ("An Quan Bu"), agréera désormais tous logiciels utilisés en Chine et dans lesquels le codage est l'élément essentiel.4

Le 25 janvier 2000, la Commission pour la Gestion des Secrets d'Etat annonçait par l'intermédiaire de Xinhua que les informations même publiées dans la presse occidentale qui sont occultées par les médias officiels en Chine pourraient être réputées secrets d'Etat. La question se pose ainsi de savoir dans quelles conditions des informations affichées sur un site à l'extérieur de la Chine pourraient exposer l'afficheur à l'application des lois chinoises?5

Le 22 mars 2000, le Ministère de la Culture a interdit la vente en ligne par des sites sous contrôle étranger de toutes musiques (notamment par le procédé MP3) ainsi que la vente de tous produits audiovisuels. Ostensiblement cette mesure est destinée à lutter contre la contrefaçon. Mais la cohérence de cette nouvelle mission ne paraît pas évidente dans la mesure où le Ministère de la Culture a récemment annoncé sa participation à une joint-venture avec une société américaine pour ouvrir un site de déchargement de musique MP3.

Trois jours plus tard, le Bureau de Gestion des Informations liées à l'Internet, qui dépend directement du Conseil d'Etat, a annoncé qu'il se préoccuperait désormais de la suppression des informations "nuisibles" sur l'internet. Annoncées comme visant les contrefaçons et les communications des dissidents, ces mesures sont davantage perçues par les entreprises étrangères comme un nouveau moyen de pression idéologique.

Le 3 mai 2000, le Ministère de l'Education a apporté sa pierre à l'édifice régulateur de l'internet en ordonnant à tous les sites proposant des services éducatifs (y compris ceux basés à l'étranger et arrosant la Chine de leurs signaux par satellite) de solliciter l'approbation du Ministère ainsi que celle des autorités provinciales ou municipales dans le cas des grandes villes sous administration directe. Tous les niveaux de formation sont concernés.

2. - Perspectives d'avenir dans le cadre de l'OMC

Pour les entreprises étrangères, les perspectives dépendent beaucoup du résultat des négociations en vue de la réintégration de la Chine à l'OMC.

Si les dispositions conclues entre les Etats-Unis et la Chine, telles qu'améliorées par les négociateurs suivants, dont ceux de l'UE, entraient en vigueur, les droits de douane (dont le taux moyen actuel correspond à 13%) sur les importations de produits relevant des technologie de l'information, d'ordinateurs semi-conducteurs et d'équipements afférant à l'internet seraient éliminés à l'horizon de 2005. Les entreprises étrangères auraient le droit d'importer et d'exporter pour leur propre compte sans avoir à passer, comme c'est le cas actuellement, par une société de commerce international agréée par l'Etat. Les quotas sur des produits liés à l'internet tels que le câble à fibre optique seraient éliminés dès l'accession et tous les autres pour l'an 2005. Enfin, les entreprises étrangères obtiendraient le droit de fournir des prestations accessoires à leurs activités commerciales (magasinage, gestion de stock, réparations).

La Chine souscrirait l'Accord de base relatif aux télécommunications, ce qui impliquerait entre autres changements, une tarification des télécommunications fondée sur les coûts ainsi que la création de droits à l'interconnexion.6

Quant aux services liés aux télécommunications, le corridor stratégique Beijing-Shanghai-Guangzhou, représentant 75% du marché chinois, serait ouvert aux prestataires étrangers dès l'accession.

Côté contenu, une généralisation de l'accord sino-américain ouvrirait le marché local aux enregistrements audio et vidéo importés, et prévoirait une augmentation de la limite aux importations annuelles de films à long métrage étrangers de 10 à 20 à l'accession et 50 dans un délai de trois ans.

Quant aux conditions applicables aux investissements étrangers stipulées dans l'accord sino-américain amélioré par l'accord avec l'UE la Chine semble avoir obtenu le droit de maintenir à long terme des limites sur les participations étrangères dans les entreprises chinoises exploitant des activités sur l'internet (50% dans les deux suivant l'accession). Ces nouvelles limites représenteraient évidemment un progrès par rapport à l'interdiction totale actuelle. Mais le résultat ne correspond pas au traitement national, principe pilier du régime général des accords du GATT.

3. - Les ventes en ligne

La nouvelle loi sur les contrats comporte plusieurs dispositions visant à faciliter la propagation du commerce électronique.7

Désormais, sauf stipulation contraire d'une loi ou d'un règlement, la conclusion des contrats ne sera soumise à aucune condition de forme (article 9). De toute façon, les échanges électroniques de données ainsi que les courriers électroniques sont expressément définis comme étant des "écrits" (article 11).

La formation de tout contrat dépend d'un échange effectif d'une offre et d'une acceptation. En vertu des articles 16 et 26 de la loi sur les contrats, les offres et les acceptations sont effectives à partir de leur réception par le destinataire. Lorsqu'un contrat est conclu par échange de messages électroniques, si le destinataire de tout message a désigné un système spécifique pour recevoir le message, le moment de l'introduction du message dans ce système spécifique est réputé correspondre au moment de réception du message; si aucun système spécifique n'a été désigné par le destinataire, le moment d'introduction dans tout système du destinataire sera réputé correspondre au moment de réception du message. Ainsi, il incombe à chaque participant de désigner lequel de ses systèmes de courrier électronique lui sera opposable.

Selon l'article 33, dans le cadre de contrats électroniques, toute partie a la faculté d'exiger une lettre de confirmation comme condition suspensive de la conclusion du contrat. Selon l'article 34, s'agissant de contrats électroniques, le lieu de formation du contrat est celui du principal établissement du "destinataire"; si ce dernier n'a pas un établissement principal, son lieu de résidence est considéré comme le lieu de conclusion du contrat.8

Les marchands en ligne étrangers remarqueront que la conjugaison des articles 30 et 34 de la loi du 31 octobre 1993 relative à la protection des droits et intérêts des consommateurs9 rend les tribunaux chinois compétents par rapport à toute action d'un consommateur en Chine invoquant les dispositions de la loi.

Conclusion

Les autorités chinoises manifestent leur intention de créer un encadrement juridique apte à favoriser le commerce électronique ainsi que celle d'encourager les investissements étrangers dans ce secteur. L'accession de la Chine à l'OMC créera de nouvelles opportunités d'affaires pour les entreprises étrangères engagées dans le commerce électronique.
 
 
 
 

Tous droits d'auteur réservés.

1. Chiffre d'affaires du commerce électronique en Chine:

1997: Dollars américains 1,7 million (International Data Corporation)

1998: $ 12 millions (MII)

1999: $ 24 millions (China Internet Network Information Center)

2000: $ 42 millions (MII)

2003 (estimé): $ 3,8 milliards (International Data Corporation).

2. Le texte intégral de l'accord sino-américain est affiché sur le site de la US-China Business Council au http://www.chinabusinessreview.com. Un résumé de l' accord sino-européen est affiché sur le site de l'UE au http://europa.eu.int/comm/trade/bilateral/china/wto.htm. Pour une comparaison entre les deux accords, voir Daniel Arthur Laprès, The EU-China WTO Agreement - A Case of Diminishing Marginal Gains, China Business Review, July-August 2000.

3.Cette compétence est même invoquée pour contrôler l'introduction en bourse aux Etats-Unis d'une maison mère non-chinoise ayant une filiale en Chine qui y exploite un portail. Cette compétence est exercée non seulement par rapport aux aspects financiers de l'appel public à l'épargne mais aussi par le MII dans le cadre de sa réglementation des réseaux de communication en Chine.

4. La rédaction originelle du règlement définissait son champ d'application comme incluant des logiciels de cryptage aussi peu sophistiqués que Microsoft Outlook, et les navigateurs Explorer et Netscape. Mais, le 16 mars 2000, le Vice-Ministre du Ministère du Commerce Extérieur et de la Coopération Economique, Monsieur Zhang Xiang, a rendu public la réponse officielle aux réclamations des chambres de commerce de nombreux pays étrangers; désormais, les logiciels tels que Windows 2000 et les susdits navigateurs, dont le codage n'est pas l'élément essentiel, sont exclus du champ d'application du règlement.

5. Ce règlement interdirait même la possession en Chine de telles informations, par exemple sur un ordinateur portable introduit en Chine lors d'un voyage. Toutefois, le Vice-Ministre, Monsieur Zhang Xiang ayant déclaré que les portables des étrangers de passage en Chine ne seraient pas soumis aux restrictions sur les logiciels de codage, on peut espérer une interprétation similaire aux actualités "portées" en Chine sur des ordinateurs d'étrangers.

6. Pour une analyse de la réglementation des réseaux en Chine, voir Daniel Arthur Laprès, Legal Primer on the Internet in China, et e-edgebal, anyone?, China Business Review, mars-avril 2000.

7. Concernant le droit régissant le marketing en Chine, voir chapitre 3, Business Law in China: Trade, Investment and Finance, Zhang Yue Jiao, Daniel Arthur Laprès (co-rédacteurs), ICC Publishing, Paris, 1997, p. 67-97. Voir aussi, La distribution en République Populaire de Chine, par le même auteur, La Revue Française du Marketing, octobre 1996

8.Mais toutes les questions ne sont pas pour autant réglées. Par exemple, faut-il que l'indication soit spécifiquement adressée au destinataire, ou l'affichage sur un site internet suffirait-il? Quid des indications non reçues? Le système spécifique est-il celui du serveur où est logée la boîte électronique ou l'unité centrale de l'utilisateur?

9.Adoptée par le Comité Permanent de l'Assemblée Nationale Populaire (ANP) à la quatrième assemblée du huitième Congrès de l'ANP.
 
 



 
 
 

Retour au début de la page



 

 

DANIEL ARTHUR LAPRES

Cabinet d'avocats

contacts

nous répondrons à vos messages



 



free hit counter code