Cabinet
d'avocats
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par
Daniel Arthur Laprès
Avocat à la Cour d'Appel de Paris
Barrister & Solicitor (Canada)
Maître de Conférences Associé
(Université de Paris - IAE)
et
Pierre-Bruno Ruffini
Professeur de finance (Université du Havre)
Just after the first anniversary
of the IMF rescue of South Korea from the throws of depletion of its foreign
exchange reserves, the country's government announced on December 9, 1999
that it would be repaying some $ 2.8 billion on its IMF line of credit
before year-end. After recording a record current account surplus in 1998,
largely induced by a shrinkage of local demand including for imports, the
country's reserves had reached $ 47 billion at year-end, some 7-8 times
their level at the time of the rescue.
In the year since the crisis, the economy has gone into reverse, shrinking by some 4.7% in 1998 though 1999 - 2000 should see South Korea's return to a growth level equivalent to that of its OECD partners (2.5%). In the meantime, the unemployment rate has rocketed to some 8 - 10%.
On the other hand, the won was trading on February 12, 1999 at some 1,176 to the dollar (it had been at 1,635 a year earlier) and the dollar return on the South Korean Stock Exchange had soared to more than 100% between year-ends 1997 and 1998.
The financial markets are progressively opening though not at a rhythm satisfactory to foreign financial services companies.
The reform of the chaebols is proving laborious. The most recent measure to force down stubbornly high debt-equity ratios has been the implementation of a ceiling on investment trusts' participations in loans to the five leading chaebols to 15% of their corporate bond holdings.
With the cash crunch apparently relieved, it is opportune to review the evidence of the causes of the crisis and the roles played by the various actors in its evolution: Korean officials, the IMF, banks both foreign and Korean, and the chaebols.
The authors argue that the crisis was one of liquidity which would have best been resolved by negotiation between bankers leading to a rescheduling of the country's excessive private short-term debt. Instead brinkmanship prevailed.
A wrong-headed official protection of the real value of the won had already taxed the country's limited official reserves. The inappropriate sequencing of the opening of the country's foreign debt market encouraged Korean banks to borrow short-term in dollars from foreign banks including for purposes of financing local long- term commitments most notably to the chaebols. When the latter began to experience financial distress in 1997 as foreign demand for their products weakened, the foreign bankers drastically curtailed the renewal rate on their short term loans to Korean banks.
Without IMF intervention in the South Korean crisis, untold havoc might have been reeked. Still, the IMF's ability to anticipate crises demonstrably failed in the Korean case. Also the scope of its remedies exceeded what was necessary to address a liquidity crisis.
A reform of the IMF is needed to clarify the Executive Board's application of conditionality in its support of members in distress. Especially because of the political coloration of its liberal policies and the invasion of members' sovereignty in the imposition and monitoring of its plans, the IMF should restrict the scope of its measures to what is necessary for the solution of crises.
The IMF's calls for increased transparency in member countries would receive a welcome application in the IMF's own operations.
The overall effect of the South Korean crisis on the financial positions of foreign banks seems not ever to have reached systemic proportions. Indeed, the foreign bankers come out of the crisis with a State guarantee on much of the troublesome loans, rates of interest higher by 2-3%, substantial fees, increased access to the very large local monetary and financial markets as well a promise (admittedly as yet largely unfulfilled) of a fire sale of South Korean corporate assets to foreign multinationals.
Sources of statistics in the above English abstract: IMF Survey, December 14, 1998, p. 388, January 25, 1999, p. 19; The Economist, August 15, 1998, p. 90, December 5, 1998, p. 103-104 and January 9, 1999, Emerging Markets Section; Korea Herald, http://www.koreaherald.co.kr/, February 12, 1998 and February 12, 1999.
Le 28 janvier 1998, les principales
banques créancières et leurs emprunteurs coréens parvenaient
à un accord de rééchelonnement de la dette à
court terme. Après quatre mois de sorties de capitaux, la bourse
de Séoul enregistrait un retour des investisseurs étrangers.
Le won se redressait, les agences de notation revoyeaient à la hausse
la note de la Corée. Le Ministre des finances annonçait même
que, tous comptes faits, le pays pourrait n'utiliser que les deux tiers
de l'aide internationale qui lui a été apportée. La
crise coréenne avait-elle finalement fait trop de bruit? La tourmente
financière apaisée, le pays pouvait s'attaquer aux réformes
de fond de son économie, dans un contexte difficile d'inflation
et de chômage annoncé. La communauté financière
internationale se disait quant à elle qu'elle venait d'éviter
le pire. Avec quelques mois de recul, il est instructif de tirer un bilan
du combat qui vient de mettre aux prises le plus puissant des dragons asiatiques
à la finance mondiale.
En peu de semaines, la Corée
a appris beaucoup, et d'abord sur elle-même. Pris au piège
de la finance mondiale, contraint de solliciter l'aide du FMI, de renégocier
sa dette à court terme, le pays a vécu dans la honte cette
situation. Une telle atteinte à l'honneur national peut passer en
Occident pour une forme d'aveu. La victime serait responsable de son propre
malheur, coupable d'avoir voulu grandir trop vite, et surtout, d'avoir
assis ses succès industriels sur une pyramide de crédit.
La dette des chaebols1. représente en moyenne quatre
fois leurs fonds propres.2. Les défaillances du
système financier coréen se révèlent au grand
jour: crédits de complaisance, connivence entre le pouvoir politique
et les banquiers, opacité des réseaux financiers... Ce sont
ces anomalies du "miracle" économique coréen que la crise
est d'abord venue sanctionner. Fragilisé à l'extrême
par les défauts de paiement des entreprises, le système bancaire
du pays a été contraint d'entreprendre une douloureuse restructuration,
dont nul ne conteste la nécessité. Dans la compétition
mondiale, la Corée se serait mise d'elle-même à la
faute, et tomberait, victime de dopage par le surendettement. Cette lecture
des événements fait l'affaire de tous ceux qu'a dérangés
l'insolente réussite de l'industrie coréenne sur les marchés
mondiaux ces dernières années, et qui peut-être se
réjouissent secrètement de lui voir mordre la poussière.
La réalité des choses est évidemment moins simple,
et les responsabilités davantage partagées qu'il n'y paraît.
A la fin de 1997, le modèle
coréen a-t-il fait faillite, englouti par l'endettement en devises
conjugué de ses entreprises, de ses banques et de son secteur public
? Ou bien a-t-il rencontré des problèmes de trésorerie,
certes aigus mais conjoncturels ? Le diagnostic est d'autant plus important
qu'il conditionne des remèdes de nature très différente.
Dans la première hypothèse, on pourrait admettre la mise
sous tutelle du débiteur en faillite. Dans le second cas, la solution
consisterait à renégocier entre créanciers et débiteurs
l'échéancier de remboursement de la dette à court
terme.
Or, le cas coréen relève clairement de la deuxième hypothèse. C'est le recours excessif à la dette à court terme qui explique la gravité de la pénurie de liquidités à laquelle ce pays a été confronté. Fin novembre 1997, l'encours total de la dette en devises (120 milliards de dollars) ne représentait que 20% environ du PIB du pays, ratio que le Directeur Général du FMI a lui- même jugé " très enviable " au regard des normes habituelles. Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), les crédits bancaires en faveur du secteur privé en Corée au cours de 1997 ont correspondu à 64% du PIB, alors que ce même rapport aux Etats-Unis était 65% et celui du G10 Europe 89%. 3 Certes les chaebols ont beaucoup investi (en moyenne sur 1986-1995, quelque 33,9% du PIB4) 4 mais ce sont essentiellement les épargnants coréens qui ont financé ces investissements. 5 Les marchés financiers coréens qui figurent parmi les plus importants de la zone 6 sont pourtant restés relativement fermés vis-à-vis de l'étranger et donc immunisés contre la fuite des capitaux étrangers en portefeuille qui a catalysé les crises mexicaine et thailandaise. 7 Le déficit de la balance courante, ramené de 4% à 3% du PIB entre 1996 et 1997, ne pouvait non plus constituer un indicateur alarmant - la dépréciation du won en fin d'année inversant d'ailleurs le signe des derniers soldes mensuels. Et les budgets publics ont été quasiment en équilibre ces dernières années. Appliqués àce pays, les termes de « dépôt de bilan », « faillite », « banqueroute " sont donc totalement injustifiés.
Par contre, à la même
date, la dette étrangère de la Corée à moins
d'un an représentait 55% de l'encours total. Ce sont surtout les
banques coréennes qui, suffoquées par la faillite de 7 des
plus grands chaebols, n'ont pu boucher le trou (estimé à
20% du PIB) qu'en empruntant à court terme, en particulier auprès
de banques étrangères. Ce recours disproportionné
à l'endettement à court terme a suivi inéluctablement
la déréglementation et l'ouverture prioritaires des marchés
à court terme par rapport aux marchés à long terme.
8 Ce sont les banques étrangères qui ont
précipité la crise internationale en réduisant plus
ou moins brutalement le taux habituel de renouvellement des dettes à
court terme d'environ 70% à quelque 30% (correspondant grosso modo
aux crédits accompagnant des opérations commerciales, ou
garantis d'une autre manière). L'insolvabilité de la moitié
de toutes les banques coréennes - et la disparition de la moitié
des seules banques d'affaires - devaient s'ensuivre. Au pire de la crise,
le won a perdu plus de 50% de sa valeur par rapport au début de
l'année 1996, exacerbant ainsi la crise de trésorerie des
débiteurs coréens. La caisse des réserves en devises
a été vidée surtout par les banques coréennes
assoiffées de dollars pour couvrir des emprunts non renouvelés
par les banques internationales. 9 La BRI estime que la
Banque de Corée a dépensé presque $17 milliards de
ses réserves (de $24 milliards) pour couvrir les engagements de
succursales étrangères de banques coréennes. 10
C'est ainsi que le chef de la recherche au FMI a pu conclure que la Corée
éprouvait une crise aigu' de liquidité et de confiance. 11
L'exemplarité du cas coréen
est que, victime d'une mauvaise structure de sa dette extérieure
- ce qui semblait, a priori, pouvoir être réglé par
un dosage savant de technique financière, de patience et de bonne
volonté entre les parties en cause - ce pays vient de faire l'objet
d'un traitement global. Certes l'accord signé avec le FMI a permis
de desserrer la contrainte de liquidité, et ouvert la voie au rééchelonnement.
Fin décembre 1997, la dette à moins d'un an ne représentait
plus que 44,3% de l'encours total, l'accord de rééchelonnement
signé à la fin janvier se traduisant logiquement par une
nouvelle baisse de ce pourcentage.
La restructuration de la dette entre les banques concernées et leurs emprunteurs était une hypothèse envisagée dès les premiers jours de novembre 1997. L'idée en avait été finalement rejetée, par crainte qu'elle n'ouvre la porte à un moratoire, ce qui aurait probablement eu un impact psychologique désastreux sur les marchés. L'intransigeance des emprunteurs coréens et de leurs bailleurs de fonds s'opposait alors à un règlement à l'amiable. Mais ce qui n'était pas possible en novembre l'est devenu ensuite, après que le Conseil Exécutif du FMI ait approuvé la demande d'aide présentée par la Corée.
Mais autant la capacité du FMI à imposer des solutions vient d'être à nouveau prouvée, autant sa capacité d'anticipation a été faible. En publiant en octobre 1997 ses Perspectives de l'économie mondiale, le Fonds a analysé les turbulences sur les marchés des changes en Asie sans évoquer l'hypothèse d'une propagation à la Corée du Sud. Début novembre 1997, au milieu d'une crise asiatique qui n'avait pas encore atteint la Corée, le Directeur Général du Fonds de passage à Paris déclarait que le risque était faible de voir ce pays être malmené à son tour, eu égard à la résorption rapide de son déficit courant et à la solidité de ses fondements économiques.
La prévision est certes un art difficile, et on ne saurait reprocher au Fonds de n'avoir pas su mieux que d'autres faire preuve d'anticipation. Force est pourtant de constater que le FMI n'a pas réussi à se doter des structures de surveillance de l'évolution économique de ses pays membres, comme il avait déclaré vouloir le faire à la suite de crises précédentes. Le Fonds serait davantage crédible quant aux explications qu'il donne aujourd'hui et surtout aux remèdes qu'il préconise si on le savait capable également de prévenir, et pas seulement de guérir. L'attente que l'on peut avoir en la matière est à la mesure de l'autorité dont dispose cette institution dans le règlement des crises.
Le FMI encourt un reproche autrement plus grave, celui d'avoir, en définitive, exploité la situation pour imposer à l'Etat coréen un programme socio-économique marqué au sceau de l'idéologie libérale " made in the USA ": ouverture du marché national, transparence des opérations économiques, dérégulation des marchés financiers, mais aussi du marché du travail. De quel mandat dispose donc le FMI pour obliger ainsi un Etat souverain à changer de cap socio-économique? Cette critique est justifiée à plusieurs titres. D'abord, les Etats-Unis sont le plus grand bailleur de fonds du FMI (18% du capital) et possèdent le plus grand nombre de votes au sein de ses instances. Ensuite, la tendance libérale du FMI est notoirement connue comme étant inspirée par des économistes américains. Alors que les grandes banques d'affaires de la triade (Union Européenne, Etats- Unis et Japon) risquent fort d'être les principaux bénéficiaires du sauvetage de la Corée, le million de nouveaux chômeurs coréens en seront les principales victimes.12
Selon nous, le FMI devrait, dans l'intérêt même de la continuité de son action, se cantonner aux seules mesures strictement nécessaires au succès de ses opérations de sauvetage. La distinction, affectionnée tout particulièrement par les juristes entre l'utile et le nécessaire, n'est pas sans application dans l'interprétation même des statuts du Fonds. S'agissant d'un transfert effectif, quoique temporaire ou en tout cas " conditionnel ", des prérogatives de la souveraineté nationale en sa faveur, le FMI ne devrait-il pas se limiter aux actes nécessaires à l'accomplissement de sa mission?13
On peut à l'aune de ce critère juger excessive l'exigence d'assouplissement des restrictions aux licenciements dans le cadre de la restructuration des entreprises. Le droit du travail, comme la protection sociale, sont des institutions pétries par l'histoire, des valeurs et la culture propres à chaque nation. Vouloir appliquer au marché du travail coréen la flexibilité à l'anglo-américaine, au nom des impératifs de l'ouverture et de la mondialisation, peut s'avérer utile pour intensifier la concurrence. Mais on peut douter qu'il y ait là une nécessité vitale pour rétablir un pays frappé par une pénurie de devises.
Le sauvetage financier de la Corée
réactive d'autres questions. Quelle est la transparence des opérations
du FMI, et quelles sont ses propres responsabilités? Faut-il primer
la confidentialité des opérations du FMI en conformité
aux traditions bancaires, ou plutôt la signification politique de
ses décisions en exigeant un débat public au sein de ses
instances? Dans le droit interne de certains pays, la crise aurait donné
lieu à des enquêtes et audiences publiques, peut-être
même préalablement à la mise en oeuvre de tout accord
ou décision. Lors de telles audiences, toute personne peut faire
valoir ses intérêts, même si ceux-ci ne sont finalement
pas pris en considération par le règlement final. Certes
au sein de chaque Etat, de tels débats ont lieu. L'opinion publique
coréenne a demandé des comptes à ceux qui ont conduit
le pays aux graves difficultés présentes. De leur côté,
les entreprises et syndicats américains n'ont pas manqué
d'impressionner leurs représentants au Congrès en arguant
du fait que leurs impôts servent au sauvetage de leurs concurrents
coréens. Le FMI peut-il de son côté échapper
au débat public? Faudrait-il prévoir des procédures
spécifiques au cas où ses initiatives auraient des conséquences
dommageables sur des parties tierces? Et si le Fonds abusait de ses prérogatives,
14
ou s'il survenait un litige entre l'Etat et le FMI, par exemple, quant
à l'interprétation de l'accord, 15 quelles
seraient les voies de règlement? Devant quelle instance? Selon quelle
loi? 16
Il reste à évoquer
l'implication et les responsabilités des acteurs privés dans
la crise financière coréenne. On passera rapidement sur le
rôle des agences de notation, auxquelles on a pu reprocher de n'avoir
perçu que tardivement la dégradation du risque coréen,
et d'avoir revu brutalement à la baisse leurs notes, accentuant
ainsi le mouvement de panique. Les banques internationales, ont-elles,
pour leur part, pris des risques excessifs, en prêtant au-delà
du raisonnable à la Corée?
On remarquera tout d'abord que la dette internationale de ce pays est essentiellement une dette du secteur privé, le secteur public ne représentant fin 1997 que 4% de l'encours total. C'est une différence majeure avec la situation de la dette internationale des années soixante-dix, dans laquelle les banquiers avaient dû faire l'apprentissage d'un type nouveau de risque, le risque souverain. Les banques internationales ont pris en Corée des risques sur des entreprises et surtout sur des banques locales, sur la base de projets économiques, et au vu bilans et autres documents comptables. A la différence des banques coréennes qui ont trop souvent prêté " sur ordre " aux chaebols, les banques internationales ne se sont engagées pour d'autres mobiles que la conquête de parts de marché et la recherche du profit. Elles ont fait leur métier, ni plus, ni moins, en acceptant de prendre ces risques. Les pertes font partie du jeu.
Les impayés coréens font-ils peser une menace sur l'avenir des banques européennes? Dans une étude publiée le 2 février l'agence d'évaluation Standard and Poor's a estimé qu'à l'horizon fin 1998, les défauts de paiement pourraient porter sur 30% du portefeuille de crédit des banques européennes en Asie et représenter de 30 à 40% de leurs résultats annuels avant provision, et de 55 à 75% de leurs bénéfices consolidés avant impôts. Sur la seule Corée, et selon cette même source, entre $20 et $30 milliards de crédit poseraient problème. Selon des sources officielles, les banques européennes sont plus exposées en Corée ($30 milliards) que leurs concurrentes japonaises ($24,3 milliards) et américaines ($9,4 milliards). Les banques françaises avaient au moment de la crise des créances sur la Corée de $8,9 milliards. Dans son Rapport Annuel erlatif à l'exercice 1997, la Société Générale fait état d'une exposition en Corée à la fin 1997 d'un montant de F26.8 milliards (dont F13,3 sur les entreprises et F13,5 sur les banques). Par contre, à la fin juin 1998, ces encours avaient diminué respectivement à F9,9 milliards et F12,2. Par ailleurs, le septembre 1998, cette même banque annonçait des provisions de FF3,5 milliards sur l'Asie dont FF400 millions sur sa seule filiale coréenne, Sogeko. 17
Finalement il semble que la crise coréenne reste tout à fait supportable pour la plupart des établissements, dont la capacité de résistance s'est d'ailleurs élevée durant ces dernières années avec l'amélioration des ratios de fonds propres. Naturellement, on ne saura jamais ce qui se serait passé en l'absence d'intervention du FMI. Mais il apparaît douteux, au vu de ces éléments chiffrés, que la situation coréenne du mois de novembre dernier ait été de nature à engendrer un risque de type systémique.
Pour les banques internationales,
la crise de la Corée pourrait être d'ailleurs un mal pour
un bien. Tout indique aujourd'hui que le rapport de force qui s'est instauré
ne peut que leur être favorable. L'ouverture progressive du marché
financier coréen aux acteurs étrangers avait été
mise comme condition à l'entrée du pays dans l'OCDE en juin
1997. La situation actuelle permet d'exiger de façon beaucoup plus
brutale cette ouverture. Le sauvetage de la Corée offre aux " majors
" de la finance mondiale des opportunités d'entrée immédiates.
La dévalorisation des actifs coréens crée les conditions
propices à une vaste braderie, facilitée par l'abaissement
des barrières réglementaires.
18 L'accord
approuvé le 4 décembre par le FMI prévoit d'éliminer
dans les deux ans en faveur des étrangers tout plafond des participations
dans les entreprises et les institutions financi&eagrave;res cotées
en bourse. L'accès des étrangers aux instruments du marche
monétaire, ainsi qu'au marché obligataire va être libéralisé,
et les entreprises coréennes pourront plus facilement emprunter
à l'étranger. Au passage, les créanciers étrangers
ont obtenu une garantie étatique par rapport aux débiteurs
les plus importants, et une hausse du taux d'intérêt sur les
encours sans mentionner les facturations de services liés à
la renégociation des crédits. 19
La crise de la dette a donc joué
en définitive comme un formidable accélérateur. On
ne peut manquer de faire le rapprochement entre le dénouement de
la crise financière coréenne et l'accord mondial sur les
services financiers obtenu au sein de l'OMC par les pays occidentaux, malgré
les grandes réserves de pays moins développés, et
qui ouvre largement les marchés de la banque et de l'assurance à
la concurrence internationale. Mais tandis que l'accord de l'OMC a été
souscrit de plein gré et sur le seul secteur financier, le règlement
de la crise financière coréenne a été signé
sous la menace, et pour le plus grand profit, des banques internationales.
C'est finalement le peuple coréen
qui, par ses sacrifices collectifs, devra expier les conséquences
de l'incompétence et de la corruption des élites nationales
enfin mises au grand jour par l'application des règles, incontournables
et impitoyables, de la globalisation financière. Les européens
souffriront, pour leur part, non seulement de la perte d'exportations vers
la Corée et de la compétitivité accrue des exportations
de ce pays, mais aussi de la réduction des investissements coréens
dont le montant est désormais devenu significatif dans plusieurs
secteurs de leurs économies.
1. Les chaebols sont les grands conglomérats familiaux qui caractérisent l'économie locale. Fers de lance du développement coréen, soutenus et souvent guidés par l'Etat coréen, les plus grands chaebols ont atteint une stature internationale aussi bien dans des industries de base que dans la haute technologie. Les plus grands chaebols sont Huyndai, Samsung, LG, Daewoo. Voir les tableaux en annexe pour mieux apprécier la difficulté de cerner la situation des chaebols. Au-delà de leurs politiques de financement, les chaebols sont critiqués aussi pour leur diversification incohérente et leur manque de compétitivité (une étude de McKinsey tend à démontre que Hyundai, plus gros constructeur d'automobiles en Corée (elle-même 5¡ mondial en nombre d'unités produites), atteint une productivité bien moindre que Toyota à un stade équivalent de développement en 1974, soit 27,9 véhicules par homme par an comparé à 44,7 chez le japonais. Far Eastern Economic Review, 30 avril 1998, p. 13.
2. Ce ratio est de 1,7 pour l'ensemble des sociétés cotées au New York Stock Exchange.
3. Rapport Annuel relatif à 1997, p. 119.
5.Selon la BRI, l'épargne locale sur la période 1986-1995 a correspondu à 36,4% du PIB. Ibid, p. 35.
6.La Corée figure au quatrième rang pour la capitalisation boursière en Asie et au deuxième rang pour son marché obligataire, Emerging Stock Market Factbook 1996-1997, International Finance Corporation, Washington, 1997.
7.Selon Sun Eae Chun, les pouvoirs explicatifs du différentiel des taux d'intérêt Corée/marché mondial, d'une part, et des flux en portefeuille, d'autre part, n'ont correspondu depuis 1992 qu'à 15,19% et 16,99% respectivement des mouvements du taux de change, Korean Exchange Bank Economic Review, novembre- décembre 1997, p. 12. Par contre, Park observe que la corrélation négative entre les bourses de Hong Kong et de Séoul s'est renversée à partir de juillet 1997 ce qui tend à prouver l'importance de la contagion dans la crise asiatique., Financial Crisis and Macroeconomic Adjustments in Korea, 1997-98, Korea Institute of Finance, 1998, p. 36.
8.Cet ordonnancement s'explique par le fait que la Corée a d'abord entamé l'ouverture de ses marchés réels et corrélativement donc ses marchés financiers à court terme. Mais progressivement les flux de capitaux ont dépassé les seuls besoins de financement du commerce extérieur. L'endettement extérieur des banques coréennes est passé de $7,22 milliards à la fin 1992 à $26,7 milliards fin 1996. La part des engagements à court terme a augmenté de 64,4% à 73,3%. Voir Park, supra note 7, p. 17. Voir aussi Sun Eae Chun, supra note 7, p. 12.
9.Face à des échéances de $15 milliards avant la fin décembre et encore autant avant la fin janvier, et ne disposant que de $6 milliards de devises au début décembre, la Corée n'avait plus aucune marge de manoeuvre.
10.Rapport Annuel relatif à 1997, p. 128. Yung Chul Park évoque la possibilité que les banques coréennes aient perdu de grosses sommes dans des opérations spéculatives sur les marchés financiers internationaux, supra, note 7, p. 14.
11.Les autorités
coréennes ont sans doute aussi commis une erreur stratégique
en favorisant une appréciation réelle du won à partir
du milieu de 1995, suivie 12 mois plus tard de sa stabilisation jusqu'à
l'éclatement de la crise. Voir Yung Chul Park, supra note 7, p.
3. Aussi les autorités ont exécuté cette politique
sans augmenter sensiblement les taux d'intérêt locaux (BRI,
supra note 3, p. 136) ce qui suppose que cette politique a été
financée par l'achat de wons en diminution des réserves.
12. Ainsi le chômage a atteint
6,7% en juin 1998, son plus haut taux depuis 12 ans. Kim says Korea must
create jobs, Reuters World Report, 8 juin 1998 et ASIAN Dilema: pain now,
pain later, Reuters Online Service, 10 mai 1998.
13.Monsieur Stanley Fischer, Premier Directeur Adjoint du FMI admet l'importance de ce critère dans la définition des plans de sauvetage mais refuse l'idée que les plans pour les pays asiatiques aient franchi la limite de la nécessité. IMF Survey, 6 avril 1998, p. 101.
14.M. Michel Camdessus, Directeur Général du FMI, reconnaît implicitement la possibilité que les programmes de sauvetage récents puissent correspondre à des excès de pouvoir lorsqu'il plaide en faveur d'un amendement des objets du FMI pour y ajouter " la libéralisation des mouvements de capitaux ", IMF Survey, 2 mai 1998, p. 162.
15.Les autorités coréennes n'ont pas toujours accepté la nécessité de maintenir les taux d'intérêt au niveau préconisé par le FMI (le plan fixe un plancher de 30%).
16.Ces questions sont d'autant plus pertinentes que la structure juridique du sauvetage repose sur un ancrage délicat. Ainsi c'est sur la base de " lettres d'intention " produites par l'Etat requérant quant à la mise en oeuvre d'un programme de réforme que le Conseil Exécutif du FMI adopte une résolution de soutien d'urgence au programme d'ajustement. Aussi alors que le programme de sauvetage est généralement annoncé comme correspondant à un prêt, la documentation rendue publique donne à penser qu'il s'agirait plutôt d'un swap won/dollars.
17.Afin de mettre ces chiffres en contexte, il convient de noter que la marge brute d'exploitation consolidée de la Société Générale pour cette même année a correspondu à F31,3 milliards, que le bénéfice net pour l'année a été de F4,1 milliards (en hausse de 9,2% par rapport à 1997), que les provisions sur la Russie ont atteint F2,5 milliards et que les provisions en 1997 (jusqu'au 30 juin) ont été de 0,2 milliards (Source: Société Générale, http://www.socgen.com/html/gb/spe/prs/98909_a.htm)
18.Selon certains observateurs, la valeur des cessions aux entreprises étrangères pourrait atteindre les $20 milliards pour la seule année 1998. Far Eastern Economic Review, 30 avril 1998, p. 11.
19.L'accord entre
les banques au mois janvier a étalé la dette bancaire sur
des échéances de un, deux, et trois ans à LIBOR plus
respectivement 225, 250 et 275 points de base. Avant la crise, ces mêmes
établissements empruntaient à LIBOR plus 50 points de base.
Au mois de juin 1998, la République de Corée a réussi
un placement (souscrit à 1.400% et record pour l'Asie) de $4 milliards
en obligations, dont $1 milliard sur un an au taux des bons du trésor
américain plus 345 points de base, et $3 milliards à 10 ans
à plus 355 points. Salomon Smith Barney et Goldman Sachs ont reçu
une prime de 5 points de base pour leur conseil et organisation de l'opération.
Euromoney, juin 1998, p. 60.
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