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LA NEGOCIATION DE CONTRATS A L'AUBE DE L'EURO

(La Revue du Financier, Paris, juin 1998)

par

Daniel Arthur Laprès
Avocat à la Cour d'Appel de Paris
Barrister & Solicitor (Canada)
Maître de Conférences Associé (Université de Paris - IAE)


TABLE DES MATIERES

Introduction
Pour ou contre la clause contractuelle de continuité.
Comment traiter un événement de rupture du système euro?
Conclusion
Notes  

 
 

Introduction


Autant les effets juridiques de la substitution de l'euro aux monnaies nationales ont été débattus, éclaircis et ordonnancés au niveaux national, européen et même international, autant le traitement optimal des implications contractuelles reste incertain. Si la continuité des contrats libellés en monnaies nationales, ainsi qu'en écus, ou encore de ceux se référant à un indice basé sur l'écu ou sur une monnaie devant être convertie en euros, ne fait plus de doute, l'inclusion d'une clause contractuelle reprenant ce qui est supposé correspondre à l'état du droit pose certains problèmes que le rédacteur aurait préféré éviter(I). Si, d'un commun avis, l'instauration de l'euro ne doit pas être considéré comme réunissant les conditions d'imprévisibilité nécessaires pour justifier la suspension des engagements libellés en monnaies converties en euros, quid de toute fracture du système euro pendant les trois années de transition (II). A la différence du législateur, le rédacteur se doit d'envisager toutes les éventualités même, voire surtout, celles qui sont les plus inattendues.

Pour ou contre la clause contractuelle de continuité.

Selon l'opinion générale, la continuité des contrats dont la monnaie est convertie en euros ne fait pas de doute pour au moins deux bonnes raisons.

D'abord, les lex monetae des pays concernés semblent concordantes sur les points de dire qu'un Etat peut transformer sa monnaie et que les engagements en ancienne monnaie sont ajustés selon les taux de conversion spécifiés par le législateur. Les tribunaux nationaux donnent effet à la volonté du législateur étranger et assurent la sécurité des relations contractuelles, condition indispensable au développement des relations économiques internationales. 1

Ensuite, le cadre juridique interne à l'Union Européenne est doté, de manière certes superfétatoire, mais pas inutile tout de même, de garanties de continuité des contrats.2 Sur le fond cette double garantie doit normalement rassurer le rédacteur, mais par contre sur la forme le procédé doit également inciter le rédacteur à se doter de sa propre garantie, cette fois-ci contractuelle, certes superfétatoire, mais pas non plus inutile. Bien sûr il faut éviter que la clause contractuelle dise, si ce n'est que par maladresse, la loi des parties en des termes finalement autres que ceux stipulés par le cadre réglementaire ou jurisprudentiel. Cette tâche elle-même n'est pas toujours facile à assumer, d'autant que ce ne sont pas tous les textes législatifs ou exécutifs ou encore tous les précédents jurisprudentiels qui se prêtent à des applications sans contestation possible. Ce risque est d'autant plus important que l'interprète du contrat sera tenté de se dire que les parties ont dû vouloir s'écarter du cadre général, si non pourquoi avoir disposé contractuellement?

A supposer que l'inclusion d'une clause contractuelle soit tout compte fait positive, comment faut-il aborder la question avec ses cocontractants? Ces derniers, si la clause leur était proposée, y verraient-ils un leur? Une nuisance inutile? Essaieraient-ils de profiter de l'occasion d'une manière ou d'une autre? Ce sont des risques qu'il faut anticiper avant d'agir, d'autant, comme nous l'avons dit, que les gains marginaux en sécurité juridique apportés par la clause sont finalement minimes dans la pratique, voire nuls.

Enfin la bonne attitude semble correspondre à une grande adaptabilité des négociateurs, une approche casuistique des situations. Lorsqu'il peut y avoir un doute quant à la continuité selon la lex monetae de tout Etat dont la monnaie sert de moyen de paiement ou d'unité de compte ou encore dont les tribunaux sont susceptibles d'être impliqués dans la résolution d'un différend survenant en relation avec une obligation exprimée en euros, il y aura lieu de stipuler une clause contractuelle. En tout cas, il faut éviter toute rédaction susceptible d'être interprétée comme un écart par rapport au cadre réglementaire de la continuité, à moins que tel ne soit l'objectif dans lequel cas il y aura lieu de redouter des infractions au cadre législatif impérieux. Surtout, on sera spécialement réticent à ouvrir une discussion sur la modification de contrats existants.

Comment traiter un événement de rupture du système euro?

Alors que certains sont tentés de dire que l'éclatement est juridiquement impossible, force est de constater que l'instauration de l'euro est la manifestation par chaque Etat de sa volonté souveraine de transférer certaines de ses fonctions à un autre organe, en l'occurrence la Banque Centrale Européenne. Donc la souveraineté des Etats participants, dans sa dimension ultime, n'est pas entamée mais plutôt affirmée par la création de l'euro. Ainsi en arrivent les juristes à dire une chose et son contraire.

Osé serait l'observateur qui nierait absolument la possibilité d'un éclatement. Négligent serait le rédacteur. En effet, la période entre le premier janvier 1999 et le premier janvier 2002 est le passage de tous les dangers. Si les instances européennes se sont senties obligées de créer un cadre institutionnel aussi serré et un tel déséquilibre entre les organes monétaires européens et les Etats-Membres, c'est sûrement parce que la peur les hante quelque part. La gravité du sentiment peut être mesurée en remarquant que le centralisme européen dépasse très largement celui d'Etats fédéraux où les subdivisions ne sont pas autant limitées dans leurs options budgétaires et financières (d'ailleurs quelques fois à leurs propres risques et périls).

D'où vient le risque d'éclatement? Malgré une panoplie de sanctions lourdes auxquelles les Etats récalcitrants s'exposeraient en cas de violation des normes européennes applicables aux politiques économiques, 3 le rédacteur de contrat ne doit pas d'emblée en exclure la possibilité, d'autant que l'événement de risque échappe au contrôle des parties. Fût cette probabilité faible, sa gravité pour le gestionnaire de risque augmenterait en proportion avec l'enjeu économique.

Par exemple, le problème se poserait concrètement au rédacteur d'un contrat impliquant un débiteur en toute monnaie dont on redoute l'éventuel départ du, ou entorse, au système euro. Pour autant qu'un tel événement se produisait, il coinciderait vraisemblablement avec la dépréciation de la monnaie nationale. Le risque se pose donc pour le créancier face à tout débiteur d'un engagement en monnaie faible. Sans en arriver à une désagrégation du système, un ajustement intermédiaire de parités pendant la période de transition constitue également un risque à prendre en considération.

Que doit donc faire le rédacteur? En fait il s'agit d'un banal problème de gestion de risque de change. A priori, il suffit d'inclure dans les contrats une clause répartissant le risque entre les parties en cas de départ de tel pays suspect du système euro. Mais encore faut-il que le négociateur ne soit pas hypnotisé par l'euro-positivisme qui tend à sublimer les doutes à propos de l'euro quelqu'en soit leur manifestation, y compris la formulation de clauses contractuelles destinées à gérer le risque de son échec.

Certains observateurs répondront que tout recul éventuel serait géré selon les mêmes principes que l'avancée: application de la lex monetae, par exemple. Seulement la situation est-elle réellement si simple? D'abord, n'est-on pas censé considérer le droit européen comme étant sui generis, un ordre juridique spécifique, et par conséquence susceptible d'être doté de sa propre lex monetae? Dans ce cas, le départ de tout Etat de l'euro pourrait donner lieu à une compétition entre la lex monetae euro et celle de l'Etat sur le départ.

Quant à la possibilité de remettre en cause les contrats libellés en euros devant être reconvertis en monnaie nationale, certains argueront que ces événements n'auraient pas le caractère imprévisible requis dans la plupart des sources nationales et conventionnelles pour remettre en cause la pérennité de l'engagement en euros. Mais ce faisant ne tomberaient-ils dans la contradiction? En effet, l'improbabilité aujourd'hui supposée de l'éclatement, même partiel, du système euro, prêterait justement crédibilité à un argument futur d'imprévisibilité en cas dudit éclatement.

Bref, le rédacteur a tout à gagner et peu à perdre en cherchant à gérer le risque de déception quant à la stabilité du système euro.

Conclusion

Si le besoin d'inclure dans les contrats contenant des engagements en euros une clause de continuité de ces engagements ne s'impose pas, surtout dans le cadre de contrats existants, l'utilité de continuer à inclure des clauses de répartition de risque de change perdurera jusqu'à la disparition des monnaies nationales en 2002.
 
 


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NOTES

1 Certains législateurs étrangers ont jugé opportun d'adopter une loi stipulant la continuité des contrats en monnaies converties en euros. Ce sont les cas des Etats de New York et Illinois, dont il est vrai que leurs marchés monétaires et financiers sont ainsi rassurés. La loi de New York date du 29 juillet 1997 (An act to amend the general obligations law ) et celle de l'Illinois du 30 juillet 1997 ((Law with respect to the interpretation of contracts: European currency. L'Etat de la Californie a un projet de loi adopté par l'Assemblée le 29 août 1997.

2 Règlement UE nÁ 1103/97 entré en vigueur le 20 juin 1997, article 3. Cette disposition est applicable sans préjudice de ce que les parties sont convenues. La continuité des engagements en écus est assurée par l'article 2 du même règlement.

3 Selon la section 4 du Pacte de Stabilité, les Etats dont les gouvernements encourent des déficits excessifs par rapport aux exigences de l'article 104c(2)(a) du Traité de Rome amendé par le Traité de Maastricht et ne les corrigent pas dans les délais prescrits encourent les sanctions suivantes: un premier dépôt correspondant à 0,2% du PNB du pays en cause majoré d'un dixième de la différence entre le déficit en pourcentage et le critère de convergence (3%). Les années suivantes ce dépôt pourra être augmenté d'un montant correspondant à un dixième de la différence entre le déficit et le critère de convergence. Ces dépôts seront plafonnés à 0,5% du PNB. Si dans les deux ans, le déficit n'est pas corrigé, les dépôts sont en principe transformés en amende.
 
 

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