Approche
juridique des r™les de la morale et de l'Žthique dans la gestion des
entreprises
par
Avocat au Barreau de Paris
Barrister and Solicitor, Nova Scotia - Canada
Professeur de droit et de finance (Institut
SupŽrieur de Commerce - Paris).
PrŽsentŽ ˆ la ConfŽrence
Les dŽrives Žthiques dans
l'entreprise
Unethical business practices
Paris, 8 & 9 Juin 2009
Sous le parrainage de l'Institut Supérieur de Commerce (ISC), University College Cork et l'Académie d'études économiques de la Roumanie
publiŽ dans le
Cahier de la
Recherche de l'ISC Paris, N¡ 24
Plan
1. -
Introduction
2. - Les
domaines du droit, de la morale et de l'Žthique
2.1. - Le
maquis lexique
2.2. - La
proposition de modle
2.3. - L'application
du modle aux activitŽs Žconomiques
3. - La
morale et l'Žthique dans la jurisprudence commerciale amŽricaine
3.1. - La
sociŽtŽ commerciale a-t-elle le droit de poursuivre des objets moraux ou
Žthiques ?
3.2. - Un
salariŽ peut-il invoquer les valeurs morales ou Žthiques pour excuser son
insoumission ?
3.3. - La bonne
foi appliquŽe dans le droit est-elle fondŽe dans la morale ?
l'Žthique ?
4. - La morale
et l'Žthique dans le droit commercial franais
4.1. -
Les bonnes mÏurs
4.2. - La bonne foi
4.3. - Les convictions personnelles
5. -
L'application du modle aux obligations des avocats en matire de lutte contre
le blanchiment des capitaux
5.1. - Le dilemme de l'avocat
5.2. - Le soupon : ˆ l'intersection du droit
et de l'Žthique
5.3. - La jurisprudence
canadienne
5.4. - La jurisprudence europŽenne
6. -
Conclusion
1. -
Introduction
Pour analyser
les relations entre le droit, la morale et l'Žthique, le point de dŽpart doit tre
la dŽfinition de ces termes. Je propose une combinaison originale de
dŽfinitions dont se dŽgage une sŽrie de relations susceptibles d'tre
reprŽsentŽes sous la forme de l'illustration ci-dessous. Le modle facilite
l'analyse de situations dans le monde des affaires ainsi que la dŽtermination
de solutions ŽquilibrŽes.
Je cite
plusieurs cas dans les jurisprudences amŽricaine et franaise qui illustrent
comment les rgles de droit, mme quand elles sont annoncŽes comme inspirŽes
par la morale ou l'Žthique, sont finalement justifiŽes par la raison, retenue
ici comme fondement caractŽristique de la rgle de droit.
Les domaines du droit, de la morale et de l'Žthique
Chaque domaine
est reprŽsentŽ par un cercle: le droit, la morale et l'Žthique. L'espace propre
de chaque domaine illustre sa distinction des autres et circonscrit sa zone
d'autonomie. Les zones de recoupement ˆ deux ou trois des domaines reprŽsentent
la co•ncidence de normes relevant de plusieurs domaines. Dans le modle ici
prŽsentŽ, les distinctions entre domaines sont opŽrŽes en fonction des moyens
de leur justification et de la nature des sanctions applicables en cas de leur
violation. Certaines normes sont incluses dans tous les domaines, par exemple,
l'interdiction des meurtres. Mais d'autres ne relvent que de deux domaines.
Dans une sociŽtŽ totalitaire, les trois domaines tendraient ˆ se superposer. La disparition de toute
zone de recoupement des trois domaines reprŽsenterait le chaos. Les Žvolutions
sociales peuvent tre illustrŽes par des dŽplacements des contours des
domaines. Dans les zones de recoupement, les normes et les sanctions peuvent se
complŽter et se renforcer, mais dans d'autres cas des conflits surviennent. Le
travailleur participant ˆ une grve illŽgale s'expose ˆ des sanctions lŽgales,
mais satisfait les exigences de son groupe social et de sa conscience.
_________________
L'origine de l'utilisation des Ç Venn
diagrams È remonte ˆ 1880
quand John Venn a publiŽ son article On the Diagrammatic and Mechanical
Representation of Propositions and Reasonings dans le Philosophical Magazine
and Journal of Science en juillet 1880, numŽro 10 (59), p. 18. Pour des
dŽveloppements rŽcents sur le potentiel de la technique de Venn dans la science
moderne, voir : Franck Ruskey, Carla D. Savage and Stan Wagon, The Search
for Simple Symmetric Venn Diagrams, December 2006, au
http://www.ams.org/notices/200611/fea-wagon.pdf.
Chacun des
domaines est supposŽ comme imposant des rgles de comportement. Je propose de
distinguer les domaines d'application des trois notions en fonction de deux
critres : la justification des contenus de leurs rgles et la nature des
sanctions applicables en cas de leur violation.
Je cite
plusieurs cas dans les jurisprudences amŽricaine et franaise qui illustrent
comment les rgles de droit, mmes quand elles sont annoncŽes comme inspirŽes
par la morale ou l'Žthique, sont finalement justifiŽes par la raison, retenue
ici comme fondement caractŽristique de la rgle de droit.
L'expŽrience
amŽricaine sert Žgalement ˆ dŽmontrer comment le recours ˆ des valeurs, sans
qu'elles ne soient nŽcessairement ancrŽes dans la raison pour fixer les rgles
de droit en gŽnŽral et plus particulirement dans le domaine des affaires,
risque d'engendrer des excs.
Je dŽveloppe
une analyse de la rŽpression du blanchiment d'argent pour illustrer comment le
modle peut s'appliquer ˆ un problme concret auquel sont confrontŽs ensemble
les entreprises et leurs avocats.
2. - Les
domaines du droit, de la morale et de l'Žthique
Aprs une brve
synthse des commentaires sur les dŽclinaisons des trois concepts que sont le
droit, la morale et l'Žthique, je prŽsente mon modle.
2.1. - Le maquis
lexique
Dans la
littŽrature contemporaine, le mot Ç Žthique È a pratiquement perdu
son identitŽ ˆ force d'tre conjuguŽ, confondu, avec d'autres notions. On
trouve des discussions des Žthiques de l'immanence, de la transcendance
religieuse, de l'activitŽ communicationnelle, de la civilisation technique, de
l'environnement, sans compter celles grŽco-romaine, naturelle, politique, bio.[1]
Pour grand
nombre d'observateurs, la question des relations tripartites entre droit,
morale et Žthique, ne se pose mme pas car ils tŽlescopent la morale et
l'Žthique. Tant™t, Ç Il n'existe en effet aucune diffŽrence entre le mot
'Žthique' et le mot 'morale' È.[2] Ou encore, Ç La quasi-disparition du discours
moral a aujourd'hui laissŽ le champ libre ˆ l'Žthique È.[3] D'autres rŽduisent l'Žthique ˆ l'obŽissance ˆ la
loi.[4]
Invoquant
expressŽment les trois notions, Kant identifie la moralitŽ ˆ l'Žthique dans les
termes suivants :
The Laws of
Freedom, as distinguished from the Laws of Nature, are moral Laws. So far as they refer only to external actions
and their lawfulness, they are called Juridical ; but if they also require that, as Laws, they shall
themselves be the determining Principles of our actions, they are Ethical. The
agreement of an action with Juridical Laws is its Legality ; the agreement
of an action with Ethical Laws, is its Morality.[5]
S'agissant du
r™le du droit dans cette conjugaison tripartite, il est traditionnellement pris
dans la littŽrature franaise comme une donnŽe positive. Le droit correspond aux
normes adoptŽes selon la constitution. Pour LŽvi-Strauss, le droit n'est qu'une
Ç forme assez basse de technologie È.[6] Le dŽbat, courant dans les cercles juridiques
anglo-amŽricains sur les valeurs susceptibles d'influencer les contenus du
droit a ainsi ŽtŽ esquivŽ jusqu'ˆ rŽcemment.[7]
Quand les
commentateurs ont cherchŽ un fondement au droit au-delˆ du respect des
impŽrieuses rgles de la nature, le plus souvent ils ont invoquŽ la raison.
Mais, la confusion na”t de l'interposition entre le droit et la raison de la
morale ou de l'Žthique. Par exemple, selon Kant, la raison dŽtermine la
moralitŽ qui inspire le droit.[8]
2.2. - La
proposition de modle
L'objet
original du prŽsent essai consiste ˆ proposer un modle de conjugaison du
droit, de la morale et de l'Žthique, en partant de dŽfinitions laissant ˆ
chaque notion une part d'indŽpendance des deux autres.
Suivant la
proposition de John Stuart Mill,[9] le domaine du droit est caractŽrisŽ par
l'imposition de sanctions de la violation de ses rgles par des mesures de
limitation de la libertŽ ou par la confiscation de biens. La gravitŽ des
sanctions entra”ne que les rgles de droit doivent tre fondŽes dans la
Ç raison È[10] (Ç reason È) et qu'elles ne s'appliquent
qu'aux comportements prŽjudiciables pour autrui.[11]
Le recours ˆ la
Ç raison È implique une argumentation logique appliquŽe ˆ des
situations de fait.
La
Ç raison È est infusŽe d'une objectivitŽ susceptible d'attirer
l'adhŽsion.
Une rgle de
droit doit tre Ç nŽcessaire È ou Ç utile È pour la gestion
rationnelle de la sociŽtŽ. Elle est apprŽciŽe tŽlŽologiquement ˆ l'aune de
critres tels que la proportionnalitŽ.
La punition d'un meurtre est clairement justifiable car
l'acte porte atteinte ˆ autrui, celle d'un suicide le serait de manire moins
systŽmatique. Le trafic d'opium est pour Mill rŽprŽhensible par la loi, alors
que sa consommation pourrait tre envisagŽe comme un acte ne concernant que le
consommateur.[12] Si un comportement peut tre
entrepris sans prŽjudice pour autrui, mme s'il dŽpla”t ˆ certains, il n'y a
pas lieu de l'interdire par la loi. Le nudisme dans un camp Žtabli pour
accueillir les adhŽrents de cette pratique peut tre isolŽ, mais cette mme
attitude adoptŽe en public se transforme en exhibitionnisme interdit par la
loi.
La morale est animŽe par l'Žmotion, la croyance, ou d'autres
facteurs, mais pas nŽcessairement par la raison, et peut mme tre contraire ˆ
ses exigences.[13] CorrŽlativement, la panoplie des
sanctions morales ne comprend pas la privation de libertŽ ou la confiscation de
biens, mais au pire diverses formes d'ostracisme. Les exigences de la morale,
qui ne sont pas apprŽciŽes ˆ la lumire de la raison, ne justifient pas en soi
l'application de sanctions lŽgales. Le domaine de la morale couvre toutes les relations
sociales. Ë supposer la consommation de l'alcool lŽgale, rien n'interdit ˆ ceux
qui estiment ce comportement comme insupportable d'exprimer leur point de vue
en Žvitant les rencontres ftŽes ˆ la Bacchus. La pornographie est rarement
dŽfendue pour sa valeur morale, mais de moins en moins de sociŽtŽs en
interdisent la consommation ou la circulation dans des cadres limitŽs.
Les domaines du droit et de la morale certes se recoupent,
mais, en cas de rgle morale rŽtrograde ou anachronique, la rgle du droit
fondŽe dans la raison doit prŽvaloir. Selon l'expression de von Ihering :
Law may be
defined as the union of the intelligent and far-sighted against the
near-sighted. The former must force the latter to that which their interest
prompts. Not for their own sake, to make them happy against their will, but in
the interest of the whole.[14]
Selon Jean Dabin,
In reality the moral law, natural or positive, confines itself to
translating the requests of the one and only morality, and it translates them
as true, without preocupation with extrinsic finality . . . Morals truly pursue
no result, no good, not even the moral good : They merge with the moral
good, expressing its requirements and conveniences . . .
The law may be defined as follows: The sum total of the rules of
conduct laid down, or at least consecrated, by civil society, under the
sanction of public compulsion, with a view to realizing in the relationships between men a certain
order - the order postulated by the end of the civil society and by the
maintenance of the civil society as an instrument devoted to that end . . .[15]
The jurist will retain only the rules of morals whose consecration
or confirmation by the law will in fact under the circumstances be found useful
to the public good and practicable with regard to the technical equipment of
the jurist . . . [16]
L'Žthique relve de la conscience
et se distingue des deux autres domaines par son intŽriorisation, sa totale subjectivitŽ. Ce qui peut travailler
l'esprit ne saurait tre limitŽ ˆ la raison, ˆ l'Žmotion ou ˆ toute autre
cause. Ainsi a Žcrit Rudolf von Ihering :
What keeps a man from committing an injustice where he knows that
he will not be found out and need not therefore fear compulsion ?[17]
Les apprŽciations Žthiques ne
sauraient se porter au-delˆ de l'individu. Une rgle d'Žthique est personnelle,
elle ne s'impose pas en tant que telle aux autres. Les manquements par autrui ˆ
ses propres rgles d'Žthique ne sauraient justifier l'application ˆ leurs
auteurs de sanctions morales ou lŽgales.
Ceci n'exclut pas l'application de sanctions morales ou, le
cas ŽchŽant, lŽgales lorsque les comportements contraires ˆ l'Žthique violent
par la mme occasion les croyances, les coutumes, les rgles d'Žtiquette, les
tabous, etc. de tout groupe social et/ou les rgles de la raison articulŽes
dans la norme juridique.
2.3. - L'application du modle aux activitŽs Žconomiques
Pour encadrer l'exploitation des activitŽs Žconomiques, le
droit prŽvoit des rgles dŽfinissant diverses modalitŽs et instituant diverses
formes. Selon l'argument dŽveloppŽ ici, ces rgles doivent tre justifiŽes par
la raison. Les valeurs morales et Žthiques peuvent co•ncider avec la rgle
lŽgale, mais elles ne suffisent pas ˆ elles seules pour justifier l'application
de la force contraignante caractŽristique des sanctions lŽgales.
Certaines rgles juridiques existent sans qu'elles ne
correspondent ˆ toute valeur morale ou Žthique, et leurs contenus peuvent tre
plus ou moins arbitraires. Leur fonction peut n'tre que d'assurer la
prŽvisibilitŽ des comportements ; par exemple, on roule en voiture ˆ
gauche plut™t qu'ˆ droite ; ou, une forme de sociŽtŽ est libellŽe
Ç sociŽtŽ privŽe limitŽe È plut™t que Ç sociŽtŽ ˆ responsabilitŽ
limitŽe È alors que leurs modalitŽs de fonctionnement ne manifesteraient
aucune diffŽrence.
Ë propos des sociŽtŽs commerciales, elles entretiennent avec
la morale et l'Žthique une relation diffŽrente de celle que peut entretenir
l'entrepreneur en nom propre.
Un entrepreneur
lanant une activitŽ en nom propre ne s'engage vis-ˆ-vis de personne ˆ Ïuvrer
pour leur profit. En ce sens, et hormis le respect des rgles de droit et de
ses engagements contractuels, il ne supporte aucune obligation dans
l'organisation et la mise en oeuvre de son activitŽ. S'il entend renoncer ˆ une
activitŽ lucrative parce qu'elle ne lui convient pas sur le plan moral ou
Žthique, rien ne l'empche d'agir en consŽquence.
La sociŽtŽ commerciale, en tant que forme d'exploitation d'activitŽs
Žconomiques sert ˆ inciter les investisseurs ˆ financer des projets en faisant basculer sur les
crŽanciers une part du risque de pertes qu'ils supportent en traitant avec un
entrepreneur en nom propre. GŽnŽralement, l'objet d'une sociŽtŽ commerciale est
dŽfini par la loi comme Žtant la rŽalisation de profits dans l'intŽrt des
actionnaires. La sociŽtŽ commerciale ne doit donc pas tre dŽtournŽe de cet
objet et toutes ses dŽcisions doivent tre guidŽes par la recherche de
bŽnŽfices et toutes les activitŽs doivent tre justifiŽes par leur contribution
aux profits des actionnaires.
La poursuite
d'activitŽs Žconomiques pour des buts non-lucratifs n'est pas pour autant
interdite. Elle s'accomplit en entreprenant des activitŽs en nom propre ou ˆ
travers une structure juridique dont l'objet n'est pas lucratif . . . ou pas
uniquement lucratif.[18]
3. - La
morale et l'Žthique dans la jurisprudence commerciale amŽricaine
Je pose les
questions suivantes :
1. la sociŽtŽ commerciale a-t-elle le droit de poursuivre
des objets moraux ou Žthiques ?
2.
un
salariŽ peut-il invoquer les valeurs morales ou Žthiques pour excuser
l'insoumission ?
3. la bonne foi reconnue dans le droit est-elle fondŽe
dans la morale ? l'Žthique ?
3.1. - La
sociŽtŽ commerciale a-t-elle le droit de poursuivre des objets moraux ou
Žthiques ?
Dans la tradition amŽricaine, l'objet de la sociŽtŽ
commerciale n'autorise pas la poursuite d'objectifs autres que l'intŽrt des
actionnaires.
Cette rgle n'exclut pas que la poursuite d'une valeur morale
ou Žthique co•ncide avec l'intŽrt matŽriel des actionnaires, ni mme que la
poursuite d'objectifs fondŽs dans la morale ou l'Žthique puisse servir ˆ les
enrichir.
Le r™le des considŽrations morales ou Žthiques dans la
gestion des entreprises commerciales a ŽtŽ traitŽe par la jurisprudence
amŽricaine sous deux angles : ˆ qui revient l'exercice des pouvoirs de
gestion et les sociŽtŽs commerciales jouissent-elles d'une protection
constitutionnelle de leur libertŽ d'expression.
Dans l'affaire opposant la Ford Motor Company ˆ ses
actionnaires qui, n'obtenant pas de distribution de dividendes, ont poursuivi
la sociŽtŽ,[19] Henry Ford s'est targuŽ de
favoriser le bien-tre gŽnŽral :
"My
ambition," said Mr. Ford, "is to employ still more men, to spread the
benefits of this industrial system to the greatest possible number, to help
them build up their lives and their homes. To do this we are putting the
greatest share of our profits back in the business."
Du tŽmoignage de Henry Ford, le tribunal a retenu :
His
testimony creates the impression also, that he thinks the Ford Motor Company
has made too much money, has had too large profits, and that, although large
profits might be still earned, a sharing of them with the public, by reducing
the price of the output of the company, ought to be undertaken. We have no
doubt that certain sentiments, philanthropic and altruistic, creditable to Mr.
Ford, had large influence in determining the policy to be pursued by the Ford
Motor Company . . .
Le tribunal conclut :
A business corporation is organized and carried on
primarily for the profit of the stockholders. The powers of the directors are
to be employed for that end. The discretion of directors is to be exercised in
the choice of means to attain that end, and does not extend to a change in the
end itself, to the reduction of profits, or to the nondistribution of profits
among shareholders in order to devote them to other purposes.
En mme temps, le tribunal a refusŽ d'ordonner ˆ la sociŽtŽ
de distribuer des dividendes, mais il y a lieu d'y voir la rŽticence,
d'ailleurs lŽgitime, du juge ˆ s'immiscer dans la gestion des affaires.
We
are not, however, persuaded that we should interfere with the proposed
expansion of the business of the Ford Motor Company. In view of the fact that
the selling price of products may be increased at any time, the ultimate
results of the larger business cannot be certainly estimated. The judges are
not business experts . . . We are not satisfied that the alleged motives of the
directors, in so far as they are reflected in the conduct of the business,
menace the interests of shareholders.[20]
Dans l'affaire Union Pacific Railroad Co. v. Trustees, Inc.[21] en 1958, le tribunal a autorisŽ la
Union Pacific ˆ contribuer $5,000 ˆ une sociŽtŽ ˆ but non-lucratif menant des
activitŽs charitables, scientifiques, religieuses ou Žducatives. Aucune
disposition dans ses statuts ni aucune disposition de la loi de l'Žtat de sa
constitution n'autorisait expressŽment de telles dŽpenses.
Le tribunal a retenu que les administrateurs de la sociŽtŽ
ont invoquŽ unanimement l'existence d'un Ç new concept È selon lequel
A
reasonable percentage of corporate income, they urge, should be earmarked for
worthy causes, as a necessary and proper item of business expense, just as
funds are tagged for advertising, public relations and the like.
Le chairman de la sociŽtŽ avait tŽmoignŽ que :
I
think it is good business to do so, in the long run beneficial to our stockholders
. . . I think the public has come to expect that we will support worthwhile
local and national causes, and, in effect, we agree with this viewpoint.
Le tribunal retient que :
We
believe that if it were made with the studied and not unreasonable conviction
that it would benefit the corporation, it should be the type of thing that
should rest in the sound discretion of management
and
within the ambit of a legitimate exercise of implied authority in the ordinary
course of the company's business. It is not too much unlike the sponsoring of a
baseball team, subsidizing promising scholars with a view toward possibly
employing them later on, giving to the local community chest, paying the salary
of a public relations expert, sponsoring a concert or television program, or
conducting a newspaper or radio advertising program.
We
think that a power once denied today may be implied under changed conditions
and philosophies, and that in the light of present day industrial and business
exigencies, common sense dictates that included in the implied powers of a
corporation, an authority should be numbered that allows contributions of
reasonable amounts to selected charitable, scientific, religious or educational
institutions, if they appear reasonably designed to assure a present or
foreseeable future benefit to the corporation; that management's decisions in
such matters should not be rendered impotent unless arbitrary and unreasonably
indefensible, or unless countermanded or eliminated by action of the shareholders
at a proper meeting.
En 1968, dans l'affaire Shensky v Wrigley,[22] le prŽsident qui possŽdait 80% des
actions de la sociŽtŽ exploitant l'Žquipe de baseball des Cubs de Chicago,
Charles Wrigley, refusait d'installer dans le stade les Žquipements d'Žclairage
qui auraient permis de tenir des matches le soir, car il considŽrait
personnellement que leur tenue les aprs-midi favorisait le dŽveloppement de la
communautŽ locale et reflŽtait mieux son idŽal du baseball. Finalement, le
tribunal a refusŽ d'intervenir en estimant que l'apprŽciation des intŽrts de
la sociŽtŽ autant que la gestion de ses affaires Žtaient du ressort de la
direction.
Cette rŽticence des tribunaux ˆ s'immiscer dans la gestion
des entreprises commerciales est ˆ double tranchant en ce qui concerne les
possibilitŽs pour les promoteurs de la prise en compte de considŽrations
morales ou Žthiques. Rechignant ˆ corriger les dŽcisions de gestion des
administrateurs, les juridictions dans la foulŽe en excluent aussi les
actionnaires.
Dans l'affaire Pillsbury v. Honeywell,[23] jugŽe en 1971 pendant la guerre au
Vietnam, le requŽrant, qui avait acquis 100 actions de la sociŽtŽ dans l'unique
but de forcer l'abandon par la direction de la production d'armes de guerre et
de munitions, n'a pas rŽussi ˆ obtenir l'accs ˆ la liste des actionnaires ou
aux Žcritures comptables concernant ces productions. La cour a considŽrŽ
que :
Petitioner had utterly no interest in the
affairs of Honeywell before he learned of Honeywell's production of fragmentation
bombs. Immediately after obtaining this knowledge, he purchased stock in
Honeywell for the sole purpose of asserting ownership privileges in an effort
to force Honeywell to cease such production . . . But for his opposition to
Honeywell's policy, petitioner probably would not have bought Honeywell stock,
would not be interested in Honeywell's profits and would not desire to
communicate with Honeywell's shareholders. His avowed purpose in buying
Honeywell stock was to place himself in a position to try to impress his
opinions favoring a reordering of priorities upon Honeywell management and its
other shareholders. Such a motivation can hardly be deemed a proper purpose
germane to his economic interest as a shareholder.
. . .
We do not mean to imply that a shareholder
with a bona fide investment interest could not bring this suit if
motivated by concern with the long- or short-term economic effects on Honeywell
resulting from the production of war munitions. Similarly, this suit might be
appropriate when a shareholder has a bona fide concern about the
adverse effects of abstention from profitable war contracts on his investment
in Honeywell.
En droit amŽricain, les sociŽtŽs commerciales jouissent de
la libertŽ d'expression et peuvent la pratiquer sans limitation par la loi aux
activitŽs liŽes aux objets sociaux.
Dans l'affaire First National Bank of Boston v. Bellotti,[24] la Cour Suprme a jugŽ contraire ˆ
la protection constitutionnelle de la libertŽ d'expression une loi de l'Žtat de
Massachusetts permettant aux banques les dŽpenses tendant ˆ influencer les
rŽsultats des seuls rŽfŽrendums qui Ç materially affect their business,
property, or assets È. Le rŽfŽrendum en cause proposait une rŽforme de la
fiscalitŽ personnelle.
La Cour a jugŽ que la protection de la libertŽ d'expression
s'Žtendait non seulement aux activitŽs des individus mais aussi ˆ celles des
sociŽtŽs commerciales.
Ensuite, la
limitation de leur libertŽ d'expression aux seules questions ayant un
Ç material effect on (their) business or property È constitue :
an
impermissible legislative prohibition of speech based on the identity of the
interests that spokesmen may represent in public debate over controversial
issues and a requirement that the speaker have a sufficiently great interest in
the subject to justify communication . . . In the realm of protected speech,
the legislature is constitutionally disqualified from dictating the subjects
about which persons may speak and the speakers who may address a public issue.
La contestation de la limitation de la libertŽ d'expression
des sociŽtŽs commerciales est survenue d'abord dans le contexte de la lutte
contre la corruption. En effet, les juges avaient laissŽ aux sociŽtŽs
commerciales une si grande discrŽtion dans l'exercice de leur libertŽ
d'expression que le lŽgislateur a dž intervenir pour limiter leurs
contributions disproportionnŽes et abusives aux partis politiques ou aux causes
publiques identifiŽes avec les partis.
Plus particulirement, dans la foulŽe des rŽformes
entreprises aprs l'affaire Watergate, le Congrs a adoptŽ en 1974 des
amendements ˆ la Federal Election Campaign Act of 1971 limitant les montants
des contributions politiques des individus et des sociŽtŽs et prŽvoyant des
financements publics pour les campagnes prŽsidentielles.[25]
3.2. - Un
salariŽ peut-il invoquer les valeurs morales ou Žthiques pour excuser son
insoumission ?
En droit amŽricain, le salariŽ qui donne la prioritŽ dans
ses relations de travail ˆ ses principes moraux ou Žthiques aux dŽpens des
intŽrts de son employeur s'expose au licenciement par sa faute.
Dans l'affaire Pierce v. Ortho Pharmaceutical Corp.,[26] une employŽe a poursuivi son
employeur pour licenciement illŽgal ˆ la suite de son refus de participer ˆ un
projet de la sociŽtŽ qu'elle jugeait comme Ç medically unethical È.
Dr. Pierce Žtait chef de recherche mŽdicale/thŽrapeutique,
une des trois sections principales du dŽpartement de recherche mŽdicale de la
sociŽtŽ Ortho Pharmaceutical. Ses principales fonctions consistaient en la
direction gŽnŽrale du dŽveloppement des mŽdicaments thŽrapeutiques et
l'Žtablissement de procŽdures pour les contr™les de leur sŽcuritŽ et de leur
efficacitŽ. La formule en dŽveloppement comprenait de la saccharine. Une
formule alternative sans saccharine aurait pu tre dŽveloppŽe moyennant un
dŽlai supplŽmentaire d'environ trois mois. Tant que la sociŽtŽ n'avait pas
obtenu l'approbation de la Federal Drug Administration, elle ne pouvait pas
commencer les expŽrimentations sur les humains en vue d'une Žventuelle
commercialisation.
Ë ce stade, Dr. Pierce a rŽitŽrŽ son opposition ˆ la
poursuite du projet en raison de la controverse au sein de la communautŽ
mŽdicale concernant les effets de la saccharine. Elle a informŽ sa hiŽrarchie qu'elle
considŽrait que sa participation aux travaux de recherche constituerait une
violation de sa dŽontologie professionnelle. Selon elle, les expŽriences
porteraient atteinte ˆ la santŽ des enfants et personnes ‰gŽes participant aux
tests. Elle reconnaissait l'existence d'un dŽbat sŽrieux sur la question.
L'employeur lui a proposŽ d'autres fonctions, mais elle a les a refusŽes parce
que correspondant ˆ des rŽtrogradations. Finalement, elle a dŽmissionnŽ.
Dans la Ç common law È traditionnelle, un salariŽ
qui n'avait pas conclu un contrat de travail avec son employeur pouvait tre
licenciŽ sans prŽavis ni cause.
Mais, au cours de l'industrialisation, de la syndicalisation
et de la dŽmocratisation du pays et au grŽ des rŽformes lŽgislatives que ces
processus ont engendrŽ, le principe dudit Ç employment at will È a
ŽtŽ battu en brche. Ainsi le tribunal a reconnu que
an
employee has a cause of action for wrongful discharge when the discharge is
contrary to a clear mandate of public policy. The sources of public policy
include legislation; administrative rules, regulations or decisions; and
judicial decisions. In certain instances, a professional code of ethics may
contain an expression of public policy. However . . . unless an employee at
will identifies a specific expression of public policy, he may be discharged
with or without cause.
Dans le cas de Dr. Pierce, sa volontŽ Žtait d'imposer son
point de vue ˆ sa direction afin de faire annuler son projet.
Dr. Pierce
espouses a doctrine that would lead to disorder in drug research. Under her theory, a professional employee
could redetermine the propriety of a research project even if the research did
not involve a violation of a clear mandate of public policy. Chaos would result
if a single doctor engaged in research were allowed to determine, according to
his or her individual conscience, whether a project should continue. An
employee does not have a right to continued employment when he or she refuses
to conduct research simply because it would contravene his or her personal
morals. An employee at will who refuses to work for an employer in answer to a
call of conscience should recognize that other employees and their employer
might heed a different call. However, nothing in this opinion should be construed
to restrict the right of an employee at will to refuse to work on a project
that he or she believes is unethical. In sum, an employer may discharge an
employee who refuses to work unless the refusal is based on a clear mandate of
public policy.
3.3. - La bonne foi appliquŽe dans le droit est-elle fondŽe dans la
morale ? l'Žthique ?
Autant en matire d'obligations conventionnelles que pour
l'imputation de la responsabilitŽ civile non conventionnelle, la bonne foi est
fondŽe dans la Ç raison È, ni dans la morale ni dans l'Žthique.
Dans l'affaire Seaman's Direct Buying Service Inc. v.
Standard Oil Co. Of Cal.,[27] la sociŽtŽ demanderesse exploitant
d'un commerce de vente de fournitures maritimes reprochait ˆ la dŽfenderesse
d'avoir rompu un contrat de distribution dont la production Žtait une condition
suspensive de l'entrŽe en vigueur du bail affŽrant ˆ son local.
Standard clamait l'impossibilitŽ de conclure le contrat en
raison d'un changement de la rŽglementation. Mais quand Seaman's a obtenu
l'autorisation requise, Standard a fait appel pour faire annuler la
modification rŽglementaire, en plus sans prŽvenir Seaman's, car elle ne voulait
pas de nouveaux clients. Quand Seaman's a appris le r™le de Standard, elle a
fait un nouvel appel qui a prospŽrŽ, mais Standard a maintenu son refus
d'exŽcuter le contrat de distribution et Seaman's a dž cesser ses opŽrations.
Seaman's a alors poursuivi Standard, inter alia, pour sa violation de la
Ç covenant of good faith and fair dealing È, qui peut tre considŽrŽe
comme fondŽe dans le contrat ou comme exogne au contrat et se rattachant dans
la Ç common law È aux obligations gŽnŽrales non-contractuelles
(Žquivalent de la responsabilitŽ civile sous les articles 1382-3 du Code
civil). Les parties ˆ un contrat ne jouissent pas d'une discrŽtion absolue dans
le choix de comportements tendant ˆ priver l'autre partie de ses avantages.
Chacune des limitations ˆ cette discrŽtion sert ˆ renforcer l'efficacitŽ du
processus contractuel. En cela, les entorses ˆ l'absolue discrŽtion des parties
sont fondŽes dans la raison.
Les tribunaux de toute faon n'Žvoquent pas la morale ou
l'Žthique pour justifier leurs dŽcisions invoquant la bonne foi en matire
commerciale. Par exemple, dans le cas des contrats d'assurance,
In
holding that a tort action is available for breach of the covenant in an
insurance contract, we have emphasized the "special relationship"
between insurer and insured, characterized by elements of public interest,
adhesion, and fiduciary responsibility.
Dans l'affaire Seaman's, la cour a expliquŽ que:
a party to a contract may incur tort remedies when, in
addition to breaching the contract, it seeks to shield itself from liability by
denying, in bad faith and without probable cause, that the contract exists . .
. (or) if he coerces the other
party to pay more than is due under the contract terms through the threat of a
lawsuit, made 'without probable cause and with no belief in the existence of
the cause of action'.
It offends accepted notions of business ethics. Acceptance of tort
remedies in such a situation is not likely to intrude upon the bargaining
relationship or upset reasonable expectations of the contracting parties.
MalgrŽ l'utilisation par la cour du mot
Ç ethics È, le lecteur aura retenu que l'auteur non seulement attache
un autre sens au mot Žthique, mais surtout il fait remarquer que, dans le sens
voulu par la Cour, il s'est agi des rgles tendant ˆ renforcer l'efficacitŽ des
contrats, ce qui constitue un objectif Žminemment rationnel.
Le propos illustre en mme temps tout l'intŽrt de dŽfinir
les notions de morale et de l'Žthique afin de les distinguer du droit, sauf ˆ y
perdre en clartŽ et prŽvisibilitŽ. Dans l'application des notions faites par la
cour, la violation des Ç business ethics È entra”ne une sanction
lŽgale. La qualification de la rgle en Ç business ethics È est
susceptible d'engendrer la notion d'Žquivalence entre droit et Žthique. Pour
tre Ç Žthique È, il suffirait alors pour une entreprise de se conformer
ˆ la loi, mais l'Žthique serait ds lors asservie au droit. Ce rŽsultat heurte
le bon sens et prive la pratique de l'Žthique de sa valeur spŽcifique. Le mot
lui-mme alors pourrait dispara”tre du lexique sans que ne souffre la
comprŽhension des rgles ou que ne soient modifiŽs les comportements
pratiques.
Dans l'affaire Soldano v. O'Daniels,[28] les juridictions ont condamnŽ en
responsabilitŽ civile un tenancier de bar qui a refusŽ l'accs au tŽlŽphone ˆ
la disposition de ses clients ˆ un Ç bon samaritain È voulant alerter
la police concernant un incident ayant abouti ˆ la mort d'un client dans un bar
voisin.
Le tribunal a justifiŽ sa dŽcision ainsi :
The refusal of the law to recognize the moral
obligation of one to another when he is in peril and when such aid may be given
without danger and at little cost in effort has been roundly criticized. . .
'Such decisions are revolting to any moral sense. They
have been denounced with vigor by legal writers.' A similar rule has been
termed 'morally questionable' by our Supreme Court.
The consequences to the community of imposing a duty
is termed 'the administrative factor' by Professor
Green in his analysis of determining whether a duty
exists in a given case. The administrative factor is simply the pragmatic
concern of fashioning a workable rule and the impact of such a rule on the
judicial machinery. It is the policy of major concern in this case.
Bien que la cour fasse rŽfŽrence ˆ des valeurs dites morales
pour justifier sa dŽcision, elle explique comment elles sont fondŽes sur des
considŽrations pragmatiques. La
solution n'ežt pas ŽtŽ la mme si les circonstances avaient ŽtŽ diffŽrentes. Le
tŽlŽphone eut ŽtŽ dans le bureau du propriŽtaire o se seraient trouvŽs
Žgalement son coffre-fort ou des documents confidentiels empilŽs sur le bureau,
le rŽsultat n'ežt peut-tre pas ŽtŽ le mme. Le motif du juge n'est pas moral
ou Žthique, mais lŽgal, ce qui lui vaut d'tre soumis aux rgles de la raison.
4. - L'Žthique
et la morale dans le droit commercial franais
L'ŽquitŽ n'est
pas une source du droit civil franais. Ainsi, un conseil de Prud'hommes ne
peut pas augmenter la rŽmunŽration d'un salariŽ par rapport aux stipulations
contractuelles en se fondant sur des considŽrations Žquitables.[29]
Les atteintes
aux bonnes mÏurs sont traitŽes dans les articles 6,[30] 1133[31] et 1172[32] du Code civil.
L'article 1134 exige que les contrats soient exŽcutŽs de bonne
foi.
Les objets des sociŽtŽs
commerciales doivent tre licites.[34]
Quand la Cour de cassation a ŽtŽ invitŽe ˆ se prononcer sur le r™le de
l'Žthique dans la solution de diffŽrends, elle a ŽvitŽ d'y donner suite en
fondant son arrt sur d'autres motifs. Ainsi, le respect de Ç l'Žthique
des affaires È n'est pas impliquŽ par l'obligation de Ç bonne
foi È dans l'exŽcution de contrats.[35]
Les codes Ç dŽontologiques È, notamment ceux applicables aux
professoins libŽrales, n'ont aucune valeur juridique en tant que tel. Leur
opposabilitŽ dŽpend de leur inclusion dans un cadre contractuel ou
rŽglementaire.[36]
4.1. - Les
bonnes mÏurs
Le dossier de
la jurisprudence contemporaine appliquant les textes en cas d'atteintes aux
bonnes mÏurs est mince.
Surtout, mme les
cas dans lesquels les bonnes mÏurs sont explicitement citŽes par les juges
concernent des comportements illicites.
Une
Ç cause immorale È ne saurait fonder un contrat, mais la morale
Žvolue dans le temps. Ainsi, en 1895, un contrat de prt pour financer une
maison de tolŽrance est dŽclarŽ contraire ˆ l'article 1133.[37] Le mme article est invoquŽ en 1964 pour dŽclarer
nul un contrat entre une femme de chambre et l'exploitante d'une maison de
tolŽrance. En 1973, un contrat de Ç strip tease È a ŽtŽ dŽclarŽ nul
pour cause immorale.[38] Mais, en 1998, compte tenu de l'Žvolution des
mÏurs, les juridictions ont validŽ un contrat pour des sŽances de pose
photographiques et Ç vidŽastes È amateurs et professionnels et pour
mettre en scne son propre Ç spectacle de charme È.[39]
Dans une
affaire de Ç mre porteuse È jugŽe en 1991 par l'AssemblŽe plŽnire
de Cour de cassation, l'Avocat gŽnŽral avait invitŽ la Cour ˆ mettre fin aux
divergences majeures de sa jurisprudence par rapport ˆ un Ç dŽlicat
problme de sociŽtŽ et d'Žthique È. Mais, la Cour a
prŽfŽrŽ
s'appuyer sur le caractre jugŽ contraire ˆ Ç l'ordre public È
du contrat qui portait atteinte aux Ç principes de l'indisponibilitŽ
du corps humain et de l'Žtat des personnes È.[40]
4.2. - La bonne foi
L'exigence de
bonne foi dans l'exŽcution des contrats a engendrŽ une abondante jurisprudence,
mais les motifs des jugements invoquent surtout des considŽrations Žconomiques
pour corriger les modalitŽs d'exŽcution des engagements.
Par exemple, la bonne foi oblige les parties ˆ renŽgocier
leur contrat quand il est dŽsŽquilibrŽ par la rŽglementation sur les quotas
d'Žmission de gaz ˆ effet de serre.[41]
Pour l'exŽcution d'un bail professionnel, la clause de style
de Ç prise des lieux en l'Žtat È, censŽe valoir renonciation par le
preneur ˆ invoquer ses droits en cas de dŽfectuositŽ du local, n'exempte pas le
bailleur de son devoir de maintien des lieux dans un Žtat apte ˆ l'usage
convenu.[42]
4.3. - Les convictions personnelles
En 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation a
jugŽ que les convictions personnelles ne constituent pas pour un pharmacien un
motif lŽgitime du refus de vendre ˆ un consommateur des contraceptifs hormonaux
faisant l'objet d'une prescription mŽdicale. Le refus de vente des mŽdicaments
contraceptifs ne procŽdait pas d'une impossibilitŽ matŽrielle de satisfaire la
demande en raison d'une indisponibilitŽ des produits en stock, mais Žtait
motivŽ par des Ç convictions personnelles qui ne peuvent constituer, pour
les pharmaciens auxquels est rŽservŽe la vente des mŽdicaments, un motif
lŽgitime pour le refus de vente È.[43]
5. - L'application du modle aux obligations des
avocats en matire de lutte contre le blanchiment des capitaux
Le blanchiment
de capitaux est une infraction pŽnale particulire ˆ plusieurs Žgards.
D'abord, la
pŽnalisation du processus de blanchiment est un phŽnomne rŽcent. L'infraction
correspondant au blanchiment n'a ŽtŽ introduite dans le code pŽnal franais
qu'en 1996.[44]
Le lŽgislateur
a ŽtŽ animŽ par une volontŽ de lutter efficacement contre la grande criminalitŽ
organisŽe en frustrant ses tentatives d'insŽrer dans des circuits lŽgaux les
fruits de ses activitŽs illŽgales.
Ainsi, le
blanchiment manifeste cette autre particularitŽ en droit pŽnal d'tre un dŽlit
Ç dŽrivŽ È.
L'idŽe que le
voleur puisse tre poursuivi non seulement pour avoir commis un hold-up, mais
en plus pour avoir dŽpensŽ la prise a pu sembler saugrenue. Cela ne
correspondait-il pas ˆ une double peine ?
Mais, selon le
Fond MonŽtaire International, le blanchiment de capitaux correspondrait ˆ l'Žquivalent de
2 ˆ 5% du valeur annuelle de la production mondiale. [45]
Selon cabinet KPMG, le montant de capitaux blanchis en 2007 a dŽpassŽ $ 1.000
milliards.[46]
Donc, insatisfait
de l'efficacitŽ de son dispositif pour dŽcourager le blanchiment de capitaux,
le lŽgislateur a voulu renforcer l'arsenal rŽpressif. Pour dissuader les
avocats de conseiller leurs clients par rapport ˆ des activitŽs illŽgales
telles que le blanchiment, les dispositions pŽnales en vigueur avant
l'instauration de l'obligation de dŽnonciation sur Ç soupon È auraient dž suffire, puisque l'avocat
complice d'un blanchiment s'exposait aux mmes sanctions que son client auteur
du dŽlit.
En France, des
textes ont donc ŽtŽ adoptŽs en 2009[47] pour transposer en droit interne les normes
communautaires obligeant, selon l'interprŽtation des instances
professionnelles, les membres d'un grand nombre de professions
juridico-financires ˆ dŽnoncer aux autoritŽs policires leurs clients qu'ils
Ç souponnent È de blanchir des capitaux dans le cadre de certaines
opŽrations.[48]
Personne n'a
jamais sŽrieusement mis en doute qu'un justiciable poursuivi pour une
infraction de blanchiment ne bŽnŽficierait pas de la confidentialitŽ de ses
communications avec son avocat. La loi exclut de son champ d'application les
activitŽs des avocats se rattachant ˆ Ç une procŽdure juridictionnelle,
que les informations dont ils disposent soient reues ou obtenues avant,
pendant ou aprs cette procŽdure, y compris dans le cadre de conseils relatifs
ˆ la manire d'engager ou d'Žviter une telle procŽdure È.[49]
Le lŽgislateur
a plut™t ciblŽ les conseils de l'avocat pour les montages juridico-financiers
de clients indŽlicats Ç fournis ˆ des fins de blanchiment de capitaux ou
de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande aux fins
de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme È.[50]
Par dŽrogation au rŽgime gŽnŽral, les
avocats communiquent leurs dŽnonciations non pas aux autoritŽs policires, mais
ˆ leur B‰tonnier qui doit dŽcider s'il y a lieu de transmettre l'information ˆ
la police.[51]
5.1. - Le
dilemme de l'avocat
Pour un avocat,
les nouvelles mesures de lutte contre le blanchiment des fruits d'activitŽs
illŽgales pose un dŽfi souvent qualifiŽ comme Ç Žthique È.
Le dŽbat relve
de Ç l'Žthique È en ce que les plus rŽcentes mesures de lutte contre
le blanchiment ont obligŽ les
avocats ˆ dŽnoncer leurs clients.
Or, une rgle
cardinale de la Ç dŽontologie È des avocats est la confidentialitŽ
des communications avec leurs clients. Il s'agit Žventuellement de l'aspect le
plus distinctif du r™le de l'avocat dans le conseil des citoyens pour
l'organisation de leur vie sociale.
Ce privilge
est une condition sine qua non
pour que le justiciable ait une possibilitŽ de procs Žquitable, ce qui est un
droit fondamental gŽnŽralement reconnu dans les conventions internationales
relatives aux droits de l'homme ainsi que dans les constitutions nationales.
5.2. - Le soupon : ˆ l'intersection du droit et de
l'Žthique
Un
Ç soupon È n'est pas nŽcessairement rationnel. On a souvent du mal ˆ
en expliquer l'origine. Dans de nombreux cercles sociaux, les
Ç soupons È sont discutŽs en privŽ tant que des raisons de les
accrŽditer ne soient pas apparus. En droit, le prŽvenu ne doit pas tre dŽclarŽ
coupable sur le fondement de Ç soupons È.
La traversŽe du
Ç soupon È du domaine de la conscience, et donc selon le modle ici
proposŽ de l'Žthique, vers celui du droit a ŽtŽ jalonnŽe par la jurisprudence
de nombreux pays.
Par rapport ˆ
la relation entre Ç droit È et Ç morale È, le public peut
tre rassurŽ que, bien avant la pŽnalisation du blanchiment des fruits des
activitŽs illŽgales, un grand nombre d'avocats, pour autant qu'ils eussent ŽtŽ
sollicitŽs, auraient refusŽ d'y prter leur concours.
Selon le schŽma
d'analyse ici proposŽ, le refus par un avocat, avant que le blanchiment ne soit
pŽnalement rŽprimŽ, de dispenser des conseils destinŽs ˆ cette fin, Žtait fondŽ
dans la morale (risque de dŽtŽrioration de sa rŽputation) et/ou dans son
Žthique personnelle.
Certes, les
professions libŽrales, dont celle d'avocat, sont souvent soumises ˆ des
Ç codes de dŽontologie È (Ç codes of ethics È). Mais, si le
lecteur nous suit dans le cantonnement de Ç l'Žthique È au for
intŽrieur de chaque individu, ces codes sont mal libellŽs.
Ils le sont
d'autant plus que la violation de leurs normes peut entra”ner des sanctions ˆ
caractre lŽgal (c'est-ˆ-dire impliquant Žventuellement la libertŽ ou les biens
du concernŽ). Ces codes dits Ç Žthiques È ont tout de ce qu'il y a de
plus lŽgal !
La Cour de
cassation, dans une affaire tranchŽe en 2003, a jugŽ que le gouvernement, ˆ l'exclusion
du Conseil de l'Ordre des avocats, Žtait compŽtent pour adopter des rgles
impŽratives concernant l'exercice de la profession d'avocat. Donc, mme dans la
mesure o les normes Ç dŽontologiques È jouissent de la force
contraignante, celle-ci rŽsulte de l'exercice de l'autoritŽ gouvernementale et
ne saurait dŽcouler d'une volontŽ spontanŽe de la profession.
Bref, en droit
franais, quand une rgle comporte des sanctions en cas de sa violation, elle
ne relve pas de la compŽtence de la profession dans l'exercice de son pouvoir
Ç dŽontologique È, si ce
n'est qu'au plan du lexique, mais de celle du lŽgislateur procŽdant par
l'adoption de rgles de droit.
La rgle
Ç dŽontologique È pure est donc nŽcessairement dŽpourvue de force
obligatoire.
MalgrŽ son
appellation Ç dŽontologique È, la confidentialitŽ des communications
entre les justiciables et leurs avocats, tant par la nature de son fondement
que par celle de ses sanctions, relve du domaine du droit.
Ceci n'exclut
pas que la lutte contre le blanchiment des capitaux entre dans les domaines de
la morale ou dans celui de l'Žthique, tout en recoupant le domaine du droit.
5.3. - La
jurisprudence canadienne
Les tribunaux
au Canada ont ŽtŽ sollicitŽs en premier parmi les pays ayant adoptŽ des lois sacrifiant
le privilge des communications entre avocat et client ˆ la faveur de la lutte
contre le blanchiment.
La Cour Suprme
de la Colombie-Britannique a dŽclarŽ qu'un doute existait concernant la
compatibilitŽ de la loi nationale avec les valeurs constitutionnelles
fondamentales.[52]
La loi
canadienne imposait l'obligation de dŽnonciation aux avocats en cas de
Ç motifs raisonnables de souponner È un acte blanchiment.[53]
Le Tribunal
canadien a conclu :
The petitioners submit that the impugned legislation
places all lawyers in a profound conflict of interest between their duty of
solicitor-client confidentiality owed to a client and their duty to report that
client to the government. The legislation provides serious penalties for
non-compliance and counsel will be careful to avoid prosecution.
The
solicitor-client relationship is a unique one, not comparable to the other
professions and entities covered by the Act and Regulations. The principles of
fundamental justice that are said to be threatened by this legislation include
the independence of the bar, solicitor-client confidentiality, and the duty of
loyalty owed by lawyers to their clients.
Sur la relation
entre le droit en tant que garde-fou contre les excs de l'opinion publique, la
Cour cite ce passage d'un arrt de la Cour Suprme du Canada :
The
bottom line is this. While remaining sensitive to the social and political
context of the impugned law and allowing for difficulties of proof inherent in that
context, the courts must nevertheless insist that before the state can override
constitutional rights, there be a reasoned demonstration of the good which the
law may achieve in relation to the seriousness of the infringement. It is the
task of the courts to maintain this bottom line if the rights conferred by our
constitution are to have force and meaning. The task is not easily discharged,
and may require the courts to confront the tide of popular public opinion. But
that has always been the price of maintaining constitutional rights. No matter
how important Parliament's goal may seem, if the state has not demonstrated
that the means by which it seeks to achieve its goal are reasonable and
proportionate to the infringement of rights, then the law must perforce fail.[54]
5.4. - La
jurisprudence europŽenne
La directive
europŽenne[55] et les textes la transposant en droit interne[56] exemptent les membres des professions financires
et juridiques de procŽder ˆ une Ç DŽclaration de soupon È dans
le cadre d'une consultation juridique:
sauf
si celle-ci est fournie aux fins de blanchiment de capitaux ou si ces personnes
y procdent en sachant que leur client souhaite obtenir des conseils juridiques
aux fins de blanchiment de capitaux.[57]
Autant dire que
le mot Ç soupon È ne sert qu'ˆ fournir un intitulŽ au bordereau de
DŽclaration puisque quiconque fournirait des informations Ç aux fins de
blanchiment È ou Ç sachant qu'elles serviraient ˆ cette fin È
serait co-auteur ou complice du dŽlit. Et il est peu probable que l'avocat qui
se mettrait dans une telle situation procŽderait alors ˆ la Ç DŽclaration
de soupon È.
En 2007, dans
l'affaire Ordre des barreaux francophone et germanophone, et al c Gouvernement
de Belgique,[58] la Cour EuropŽenne de Justice a dŽclarŽ la Directive
contre le blanchiment conforme aux droits fondamentaux dŽfendus en tant que
principes gŽnŽraux du droit communautaire. La cour a insistŽ sur l'intŽrt
gŽnŽral ˆ lutter contre le blanchiment de capitaux ŽvoquŽ dans les
considŽrants 14 ˆ 17 du prŽambule de la Directive.[59]
Les blanchisseurs de capitaux ont
de plus en plus tendance ˆ utiliser les professions non financires. Cette
Žvolution est confirmŽe par les travaux du GAFI [Groupe d'action financire
internationale] sur les techniques et typologies de blanchiment de capitaux.
Il convient que les obligations
imposŽes par la directive [91/308] en matire d'identification des clients, de
conservation des enregistrements et de dŽclaration des transactions suspectes
soient Žtendues ˆ un nombre limitŽ d'activitŽs et de professions qui se sont
avŽrŽes particulirement susceptibles d'tre utilisŽes ˆ des fins de
blanchiment de capitaux.
Les notaires et les membres des
professions juridiques indŽpendantes, tels que dŽfinis par les ƒtats membres,
devraient tre soumis aux dispositions de la directive [91/308] lorsqu'ils
participent ˆ des transactions de nature financire ou pour le compte de
sociŽtŽs, y compris lorsqu'ils fournissent des conseils fiscaux, transactions
pour lesquelles le risque que les services de ces professions juridiques soient
utilisŽs ˆ des fins de blanchiment des produits du crime est plus ŽlevŽ.
La Cour a
dŽclarŽ que:
Il convient de
rappeler Žgalement que les droits fondamentaux font partie intŽgrante des
principes gŽnŽraux du droit dont la Cour assure le respect. Ë cet effet, la
Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux ƒtats membres
ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux
concernant la protection des droits de l'homme auxquels les ƒtats membres ont
coopŽrŽ ou adhŽrŽ . . . Ainsi, le droit ˆ un procs Žquitable tel qu'il
dŽcoule, notamment, de l'article 6 de la CEDH constitue un droit fondamental
que l'Union europŽenne respecte en tant que principe gŽnŽral en vertu de
l'article 6, paragraphe 2, UE.
La Cour conclut
que :
L'avocat ne
serait pas en mesure d'assurer sa mission de conseil, de dŽfense et de
reprŽsentation de son client de manire adŽquate, et celui-ci serait par consŽquent
privŽ des droits qui lui sont confŽrŽs par l'article 6 de la CEDH, si l'avocat,
dans le cadre d'une procŽdure judiciaire ou de sa prŽparation, Žtait obligŽ de
coopŽrer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations
obtenues lors des consultations juridiques ayant eu lieu dans le cadre d'une
telle procŽdure. . .
En revanche, il
y a lieu d'admettre que les exigences liŽes au droit ˆ un procs Žquitable ne
s'opposent pas ˆ ce que . . . les avocats soient soumis aux obligations d'information
et de coopŽration instituŽes par l'article 6, paragraphe 1, de cette directive,
ds lors que de telles obligations sont justifiŽes . . . par la nŽcessitŽ de
lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux qui exerce une influence
Žvidente sur le dŽveloppement du crime organisŽ, lequel constitue lui-mme une
menace particulire pour les sociŽtŽs des ƒtats membres.
La
transposition en droit franais de la Directive relative au blanchiment a donnŽ
lieu ˆ des recours devant le Conseil d'Etat initiŽs par le Conseil National des
Barreaux et le Conseil de Barreaux
EuropŽens.[60] Le Conseil d'Etat a fait Žcho des observations de
la Cour de Justice EuropŽenne concernant la validitŽ de la Directive en droit
communautaire. Le Conseil d'Etat s'est limitŽ au contr™le de la conformitŽ des
textes de transposition en droit franais avec les normes fixŽes dans la
Directive, et il a conclu que, sauf sur l'obligation imposŽe par la loi aux
avocats de dŽnoncer leurs soupons aux autoritŽs policires, ces textes Žtaient
conformes.
Nous en
concluons que la rŽpression du blanchiment de capitaux par l'imposition d'une
obligation de dŽnonciation par les avocats de leurs clients lorsqu'ils les
Ç souponnent È de blanchiment illustre comment les juridictions
t‰tonnent pour trouver un Žquilibre entre le domaine du droit avec ses rgles
contraignantes pour autrui et le domaine personnel de l'Žthique.
En l'Žtat
actuel de la lŽgislation et de la jurisprudence, les avocats ne dŽnoncent plus
sur un Ç soupon È, mais il y sont contraints dans des cas o leur
participation aux opŽrations litigieuses impliquerait leur propre
responsabilitŽ pŽnale en tant que complice ou co-auteur.[61]
6. -
Conclusion
Le droit, la
morale et l'Žthique couvrent des domaines qui se recoupent, mais que
partiellement.
En distinguant
leurs domaines d'application, chacun peut adopter des comportements mesurŽs en
fonction de leur nature.
Le droit se
caractŽrise par son recours ˆ la raison pour rŽgir les comportements ayant des
effets sur les droits d'autrui ainsi que par la force obligatoire de ses rgles
et la possibilitŽ de sanctions privatives de libertŽ ou de droits de propriŽtŽ.
La morale est
inspirŽe par l'Žmotion ou les croyances et la violation de ses rgles ne doit
pas entra”ner des atteintes ˆ la personne ou ˆ ses biens.
L'Žthique Žtant
totalement subjective, l'individu ne rŽpond qu'ˆ lui-mme de ses choix dans ce
domaine.
Pour la gestion
des entreprises, les rgles de droit sont par dŽfinition obligatoires.
Son respect de
la loi ne rend pas une entreprise morale ou Žthique.
Les rgles
morales influencent indirectement la gestion des entreprises dont les attitudes
adoptŽes ˆ leur Žgard peuvent influencer leurs rŽsultats. L'image Žtant gŽnŽralement
considŽrŽe comme faisant partie du fonds de commerce, les actes liŽs ˆ son
amŽlioration, sans mme qu'ils soient lŽgalement obligatoires, seront justifiŽs
comme Ç intŽressants È pour ses propriŽtaires.
Mais, cette
admission indirecte des valeurs morales dans les calculs des sociŽtŽs
commerciales n'est pas justifiŽe par la morale, mais bien par une rgle de
droit, celle favorisant l'indŽpendance de la direction dans l'administration
des sociŽtŽs commerciales.
Aussi, qu'une
norme soit reconnue comme morale, au sens d'tre inspirŽe par une Žmotion
ou une croyance, ne garantit pas sa conformitŽ ˆ la raison. La possibilitŽ pour
les sociŽtŽs commerciales de poursuivre des valeurs morales expose le public ˆ
leurs dŽrives, notamment dans le domaine politique o le risque de corruption a
motivŽ l'adoption de rgles limitant les financements de campagnes politiques
par les sociŽtŽs commerciales.
Les
controverses suscitŽes par la rŽglementation impliquant la profession d'avocat
dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, les obliger ˆ dŽnoncer leurs
clients en cas de Ç soupons È de leur participation ˆ des activitŽs
blanchiment, illustrent comment le droit est mal adaptŽ au contr™le des idŽes
et des attitudes privŽes ou subjectives, telles que les valeurs morales ou
Žthiques.
Notes
[1][1] La Politique responsable de
l'Žthique dans le capitalisme, dans Ethique et capitalisme, direction Denis
DuprŽ, Economica, Paris, 2002, 183-184.
[2] Yvon Pesqueux, La politique
responsable de l'Žthique dans le capitalisme, dans Ethique et Capitalisme,
direction Denis DuprŽ, Economica, Paris, 2002, p. 189.
[3] GŽrard VŽra, Les ennemis de
l'Žthique, dans Ethique et Capitalisme, direction Denis DuprŽ, Economica,
Paris, 2002, p. 37.
[4] Ç Faire de l'Žthique c'est
aussi considŽrer que la dŽlinquance financire est un crime. È, Denis
DuprŽ et Isabelle Girerd-Potin, Essor d'une consommation Žthique, dans Ethique
et capitalisme, direction Denis DuprŽ, Economica, Paris, 2002, 118.
[5] Emmanuel Kant, Philosophy of Law,
General Introduction to the Metaphysics of Law, Section 1, reprinted in
Clarence Morris (ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvanie,
Philadelphia, 1979, p. 240.
[6] Claude LŽvi-Strauss, Les critres
scientifiques dans les sciences sociales et humaines, dans la Revue internationale
des sciences sociales, vol. XVI, 1964, n¡ 4, p. 579.
[7] Ç Jusqu'ˆ une date trs rŽcente, il n'y a
gure dans le milieu parisien des sciences sociales que Michel Foucault pour
avoir considŽrŽ que l'Žtude du droit participait du savoir sur l'homme,
renouant ainsi avec la tradition intellectuelle inaugurŽe en France par des
auteurs comme Durkheim ou Mauss. È, Alain Supiot, Critique du droit du
travail, PUF, Paris, 2007, 193. Selon Supiot, l'Žvolution du droit social franais
en complŽment du code civil illustre cette distinction entre la loi en tant que
science indŽpendante des autres sciences sociales, et le droit du travail qui
n'a de sens que s'il est placŽ dans son contexte naturel, celui de l'homme et
de son environnement, et dans son cadre social, celui de l'entreprise ou autre
organisation, page 195.
[8] Ç Instruction in the Laws of
Morality is not drawn from observation of oneself or of our animal nature, nor
from perception of the course of the world in regard to what happened, or how
men act. But Reason commands how we ought to act, even although no example of
such action were to be found . . . Ç , Emmanuel Kant, Philosophy of
Law, General Introduction to the Metaphysics of Law, Section 1, reprinted in
Clarence Morris (ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, 1979, p.
240.
[9] On Liberty, 1859, en particulier
le chapitre IV, Of the Limits to the Authority of Society over the
Individual : Ç The acts of an individual may be hurtful to others, or
wanting in due consideration for their welfare, without going the length of
violating any of their constituted rights. The offender may then be justly
punished by opinion, though not by law. As soon as any part of a person's
conduct affects prejudicially the interests of others, society has jurisdiction
over it, and the question whether the general welfare will or will not be
promoted by interfering with it, becomes open to discussion. But there is no
room for entertaining any such question when a person's conduct affects the
interests of no persons besides himself, or needs not affect them unless they
like (all the persons concerned being of full age, and the ordinary amount of
understanding). In all such cases there should be perfect freedom, legal and
social, to do the action and stand the consequences. È Voir :
http://www.utilitarianism.com/ol/five.html.
[10] On Liberty, chapitre II, Of the
Liberty of Thought and Discussion. Par exemple, Mill explique le fondement de
la libertŽ d'expression ainsi : Ç . . . even if the received opinion
be not only true, but the whole truth; unless it is suffered to be, and
actually is, vigorously and earnestly contested, it will, by most of those who
receive it, be held in the manner of a prejudice, with little comprehension or
feeling of its rational grounds. È
[11] Ç Law is the reason of the
thing È, Friedrich Hegel, Philosophy or Right, Preface, reprinted in
Clarence Morris (ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, 1979, p.
304.
[12] On Liberty, chapitre V,
Applications.
[13] Ç Morals excite passions, and
produce or prevent actions. Reason of itself is utterly impotent in this
particular. The rules of morality, therefore, are not conclusions of our
reason. È, David Hume, A Treatise of Human Nature, Vol. II, Book III, Of
Morals, Part I, Of Virtue and Vice in General, Section 1, reprinted in Clarence
Morris (ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, , 1979, p. 188.
[14] La Cour Suprme des Etats-Unis
s'est prononcŽe en faveur de la protection de la culture du peuple Amish en
permettant l'Žducation de leurs jeunes adultes en dehors du systme public au
nom de la libertŽ d'expression protŽgŽe par le premier amendement de la
Constitution. Wisconsin v. Yoder, 406 U.S. 205 (1972) 406 U.S. 205.
[15] Jean Dabin, General Theory of Law,
1944, Part Two, chapter Two, Introduction, reprinted in Clarence Morris (ed.)
The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, , 1979, p. 467.
[16] Jean Dabin, General Theory of Law,
1944, Part Three, chapter Three, Section 1, paragraphe 251, reprinted in
Clarence Morris (ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, , 1979, p.
492.
[17] von Ihering semble identifier ce
domaine de la conscience avec la morale, alors que dans le modle ici proposŽ,
la conscience caractŽrise le domaine de l'Žthique. Rudolf von Ihering, Law as a
Means to an End, Part I, Chapter VIII, section 15, reprinted in Clarence Morris
(ed.) The Great Legal Philosophers, U. Pennsylvania, Philadelphia, 1979, p.
240.
[18] Les fonds d'investissement dits
Žthiques visent la rentabilitŽ dans le respect de principes de gestion
considŽrŽs comme Žthiques. Selon le pays concernŽ, ils constituent des parts
trs variables des sommes totales placŽes entre les mains des fonds ; aux
Etats-Unis, ils pourraient reprŽsenter plus de 10% du total des sommes placŽes,
en France seulement 1%, Denis DuprŽ et Isabelle Girerd-Potin, Essor d'une
consommation Žthique, dans Ethique et capitalisme, direction Denis DuprŽ,
Economica, Paris, 2002, 93-94. La viabilitŽ de ces fonds a ŽtŽ mise ˆ l'Žpreuve
par la crise financire globale de 2007-8 car les performances de nombreux
d'entre eux ont virŽ au rouge, Why it can be hard to stick to your principles,
Jill Insley and Peter Davey, June 7, 2009, http://www.guardian.co.uk/profile/jillinsley.
[19] Dodge v.Ford Motor Co., 204 Mich.
459, 170 N.W. 668 (1919) http://www.lapres.net/dodge.html.
[20] Le tribunal a ajoutŽ Ç It may
be noticed, incidentally, that it took from the public the money required for
the execution of its plan, and that the very considerable salaries paid to Mr.
Ford and to certain executive officers and employees were not
diminished. È
[21] 8 Utah 2d 101, 329 P.2d 398
(1958).
[22] 237 N.E.2d 776 (Ill. App. 1968).
[23] 291 Minn. 322, 191, N.W.2d 406
(1971).
[24] 435 U.S. 765 (1978).
[25] Le PrŽsident Obra a ŽtŽ le premier
candidat ˆ la prŽsidence ˆ renoncer aux financements publics en se fiant ˆ ses
propres moyens de collecte de contributions.
[26] 84 N.J. 58, 417 A.2d 505 (1980)
[27] 36 Cal 3d 752, 686 P.2d 1158
(1984)
[28] 141 Cal.App.3d 443, 190 Cal.Reptr.
310 Ct.App. 1983
[29] Cass. Soc. 4 dŽc. 1996 :
Bull. civ. V, n¡ 421 - Molfessis, RTD, civ. 1998.221.
[30] Cet article dispose que :
Ç On ne peut dŽroger, par des conventions particulires, aux lois qui
intŽressent l'ordre public et les bonnes mÏurs È.
[31] Cet article dispose que :
Ç La cause est illicite, quand elle est prohibŽe par la loi, quand elle
est contraire aux bonnes mÏurs ou ˆ l'ordre public È.
[32] Cet article dispose que :
Ç Toute condition d'une chose impossible, ou contraire aux bonnes mÏurs,
ou prohibŽe par la loi, est nulle, et rend nulle la convention qui en
dŽpend È.
[33] Cet article dispose que :
Ç Les conventions lŽgalement formŽes . . . doivent tre exŽcutŽes de bonne
foi È.
[34] CA Lyon, 13 juin 1960 : JCP 1961, II, 12103, note Boitard.
[35] Cass. Comm., 20 novembre 2007, n¡
06-17.289, Atlantica ; Cass., comm., 27 avril 1971, n¡ 70-10.824, Jamot et
Rousseau ; cass. Comm., 25 mai 1982, n¡ 80-13.397, Ibex.
[36] Cass. Comm., 6 dŽcembre 1994, n¡
92-21.335, Hebbrecht ; Cass. Comm., 6 avril 1999, n¡ 96-21.084, Torlai.
[37] Req. 1er avr. 1895.
[38] TGI Paris, 8 nov. 1973 ; D.
1975.401, note Puech.
[39] OrlŽans, 4 juin 1998 ;
Juris-data, n¡ 005327.
[40] 31 mai 1991, n¡ 90-20.105 :
Bull. 1991 A.P. n¡ 4, p. 5 ; Madame X.
[41] Nancy, 26 sept. 2007 : D.
2008.1120, note Boutonnet ; JCP 2008, II 10091, note Lamoureux ; RLDC
2008/5, n¡ 2969, note Cachard.
[42] Montpellier, 10 janv. 2007 :
Juris-Data n¡ 327252.
[43] 21 octobre 1998, n¡
97-80.981 : Bull crim. 1998, n¡ 273, p. 785, Bruno.
[44] Loi n¡96-392 du 13 mai 1996 - art.
1 JORF 14 mai 1996, L'article 324-1 du Code pŽnal dispose que : Ç Le
blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification
mensongre de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un
dŽlit ayant procurŽ ˆ celui-ci un profit direct ou indirect.Constitue Žgalement
un blanchiment le fait d'apporter un concours ˆ une opŽration de placement, de
dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un
dŽlit. Le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 2 500 000 F
d'amende È.
[45] L'International sur le Net,
geoscopies, http://www.geoscopies.net/geoscopie/espaces/e994USmolaund.php.
[46] CFO-News,
http://www.cfo-news.com/KPMG-s-Global-Anti-Money-Laundering-Survey-2007-how-banks-are-facing-up-to-the-challenge_a2795.html.
[47] Ordonnance n¡ 2009-104 du 30
janvier 2009 relative ˆ la prŽvention de l'utilisation du systme financier aux
fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
[48] Ces opŽrations sont :
a) L'achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ;
b) La
gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ;
c)
L'ouverture de comptes bancaires, d'Žpargne ou de titres ou de contrats
d'assurance ;
d)
L'organisation des apports nŽcessaires ˆ la crŽation des sociŽtŽs ;
e) La
constitution, la gestion ou la direction des sociŽtŽs ;
f) La
constitution, la gestion ou la direction de fiducies, rŽgies par les articles 2011 ˆ 2031
du code civil ou de droit Žtranger, ou de toute autre structure similaire ;
g) La
constitution ou la gestion de fonds de dotation. Article 561-4 du Code
monŽtaire et financier.
[49] L561-4 II du Code monŽtaire et
financier.
[50] L561-3 du C ode monŽtaire et
financier.
[51] Article L561-17 du Code monŽtaire
et financier.
[52] The Law Society of B.C. v. A.G.
Canada; Federation of Law Societies v. A.G. Canada, 20011120, 2001 BCSC 1593
Docket: L013116, Registry: Vancouver.
[53] Regulations implementing certain
provisions of the Proceeds of Crime (Money Laundering) Act, S.C. 2000, c. 17,
November 8, 2001.
[54] RJR - MacDonald Inc. v. Canada
(Attorney General), [1995] 3 S.C.R. 199 at p. 329.
[55] Directive
91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991 relative ˆ la prŽvention de l'utilisation
du systme financier aux fins de blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77), telle
que modifiŽe par la directive 2001/97/CE du Parlement EuropŽen et du Conseil,
du 4 dŽcembre 2001 (JO L 344, p. 76).
[56] Loi du 11 fŽvrier 2004 rŽformant
les statuts de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts
judiciaires, des conseils en propriŽtŽ industrielle et des experts en ventes
aux enchres publiques et le DŽcret du 26 juin 2006 relatif ˆ la lutte contre
le blanchiment de capitaux et modifiant le code monŽtaire et financier,
codifiŽs aux articles R. 562-2, R. 563-3 et R 563-4 de ce mme code.
[57] Code monŽtaire et financier,
L561-3 III.
[58] 26 juin 2007, n¡ c-305/05.
[59] Directive 91/308/CEE du Conseil du
10 juin 1991 relative ˆ la prŽvention de l'utilisation du systme financier aux
fins de blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77).
[60] N¡ 296845 et 296907, 10 avril
2008.
[61] La lŽgislation franaise est
ambigu‘ sur la question de savoir si l'avocat doit dŽnoncer des faits dont il
prend connaissance avant mme de nouer une relation d'affaires avec le prospect
indŽlicat. L'article L561-5 du Code monŽtaire et financier dispose que :
Ç Avant d'entrer en relation d'affaires avec leur client ou de l'assister
dans la prŽparation ou la rŽalisation d'une transaction, les personnes
mentionnŽes ˆ l'article L. 561-2 identifient leur client et, le cas
ŽchŽant, le bŽnŽficiaire effectif de la relation d'affaires par des moyens adaptŽs
et vŽrifient ces ŽlŽments d'identification sur prŽsentation de tout document
Žcrit probant.
Elles
identifient dans les mmes conditions leurs clients occasionnels et, le cas
ŽchŽant, le bŽnŽficiaire effectif de la relation d'affaires, lorsqu'elles souponnent
que l'opŽration pourrait participer au blanchiment des capitaux ou au
financement du terrorisme ou, dans des conditions fixŽes par dŽcret en Conseil
d'Etat, lorsque les opŽrations sont d'une certaine nature ou dŽpassent un
certain montant. È. Son article L561-6 stipule que :
Ç Avant
d'entrer en relation d'affaires avec un client, les personnes mentionnŽes ˆ
l'article L. 561-2 recueillent les informations relatives ˆ
l'objet et ˆ la nature de cette relation et tout autre ŽlŽment d'information
pertinent sur ce client.
Pendant
toute sa durŽe et dans les conditions fixŽes par dŽcret en Conseil d'Etat, ces
personnes exercent sur la relation d'affaires, dans la limite de leurs droits
et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des
opŽrations effectuŽes en veillant ˆ ce qu'elles soient cohŽrentes avec la
connaissance actualisŽe qu'elles ont de leur client.